★★☆☆☆
TRAP
-
M. NIGHT SHYAMALAN
RÉSUMÉ :
30 000 spectateurs. 300 policiers. Un tueur.
Cooper, père de famille et tueur en série, se retrouve pris au piège par la police en plein cœur d’un concert.
S’échappera-t-il ?
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Par Kevin Kozh n’air
Note globale : 2/5
Un pitch très prometteur
30 000 spectateurs. 300 policiers. Un tueur.
J’aime l’efficacité du pitch. On commence à bien connaître M. Night Shyamalan et son goût pour les règles simples, qu’il va s’amuser à retourner à sa guise pour des plots twist devenus légendaires. Il y a des petits embruns de Prison Break, de Inside Man de Spike Lee ou encore de l’immense Heat, trois œuvres qui m’ont beaucoup impressionnées. J’ai également été intrigué de voir qu’il figure dans le top 10 – 2024 des Cahiers du cinéma. Ajoutez à cela un trailer alléchant, et vous pourrez avoir un bref aperçu de la hype que j’avais pour la sortie de Trap !
J’avais même réussi à mettre de côté l’incohérence assez monumentale qui consiste à créer volontairement un concert pour attraper un tueur en série, mettre potentiellement 30 000 personnes en danger de mort, et déployer un gigantesque arsenal policier dont le motif doit rester confidentiel pour que le piège fonctionne, je pense que c’est pas foufou en terme de sécurité ! Imaginez vous êtes au concert de Taylor Swift et là vous voyez que toutes les issues sont bloquées et qu’ une personne sur deux fait partie des forces de l’ordre, on est pas bien là ?
Mais bon, l’ambiguïté de Josh Hartnett, entre papa parfait puis gros psychopathe qui regarde des vidéos du type qu’il a séquestré dans sa cave lors de sa pause pipi, avait quelque chose d’intriguant.
J’ai aussi réussi à oublier Old et son écriture catastrophique, et me rappeler très fort que Knock At the Cabin avait des idées intéressantes, afin de me mettre dans les conditions de visionnage idéales. Alors, est ce qu’il va réussir à s’échapper le petit fumier ?!
Attention, ça SPOILE à tergo larigo par ici !

Cooper au pays des merveilles
La première partie nous plante un peu le décor (Ménon ???) et surtout le portrait des deux protagonistes qu’on va suivre durant le concert. On y voit un Cooper, et sa fille Riley. C’est clairement la partie que j’ai préféré : le réalisme du concert de cette icône pop, Lady Raven interprétée par la fille de Shyamalan, la petite Riley surexcitée qui traîne son père qui ne comprend pas trop ce qui se passe, bien qu’il souhaite sincèrement faire plaisir à sa fille. J’ai été touché par son côté très attentionné et insouciant, le but de Shyamalan était sûrement de créer le contraste le plus brutal possible avec l’autre facette de sa personnalité, qui se révélera progressivement au fur et à mesure qu’il tentera d’échapper au piège.
Lorsque le concert commence, Cooper s’éclipse gentiment, et sa fille Riley, absorbée par le concert de son idole, n’est pas bouleversée par ce départ. Allant au toilettes, il constate avec étonnement que toutes les issues sont bloquées par les policiers et qu’ils sont aussi en train de mettre en place d’importants dispositifs de surveillance. “Bizarre, l’ambiance” se dit Cooper. Il se dirige vers un stand sous prétexte qu’il cherche un T-Shirt pour sa fille, et en profite pour poser des questions au vendeur sur la présence des forces de l’ordre. Le vendeur lui fait “Mec, je suis pas censé en parler”… littéralement 2 secondes plus tard, voici les infos qu’il lâche :
– La police est parvenue à identifier “Le boucher”, le fameux tueur en série (Cooper en sueur)
– Le nombre des effectifs déployés
– Toutes les issues sont condamnés
– Le concert entier est fake, il a été organisé uniquement pour le piéger.
Fallait bien que le spectateur ait toutes les infos mais bon, j’espère que les prochains interlocuteurs de Cooper seront un peu moins bavards sinon cela risque d’être un peu trop facile pour lui et ennuyant pour nous.
Héhé, je plaisante, bien sûr qu’ils vont tous caqueter comme des pies, et tout le problème est là. L’incohérence du type qui donne toutes les informations cruciales à un inconnu qui correspond trait pour trait au profil de tueur recherché, mes chers ami–e-s, ce n’est qu’un début !
Dans les polars, thrillers ou films policiers, il y a presque toujours quelques incohérences. Mais on les accepte, parce qu’elles s’inscrivent dans les codes de la fiction. Prenons l’exemple de Agatha Christie, ou même de tous les whodunit, c’est plutôt rare de voir 10 personnes + un mort dans une pièce, signifiant que le meurtrier est forcément l’un d’entre eux. Mais c’est une incohérence qu’on accepte, car elle va nous permettre de voir comment l’auteur va jouer avec son huis clos, créer de fausses pistes et surprendre le spectateur/lecteur.
Ici on est absolument pas sur ce genre d’incohérence, on est sur un jeu du chat et de la souris en huis clos, où le scénario est tellement conciliant avec Cooper, entre les informations secrètes obtenues sans le moindre efforts, les personnages qui font exactement ce qu’il avait prévu, en faisant parfois des choses qui n’ont AUCUN sens, qu’il n’y a plus de réels enjeux. A chaque fois que Cooper parvient à réussir son coup et à progresser dans son évasion, c’est tellement tiré par les cheveux qu’ il y a quelque chose de cartoonesque. On est malheureusement beaucoup plus proches de Tom et Jerry (Banger, nonobstant !) que de Inside man…

Cooper, un charmeur irrésistible (littéralement)
Après avoir tenté quelques approches infructueuses (il est parti 74 fois aux toilettes, sa fille ne se doute toujours de rien), Cooper revient vers la grande bouche qui vend des T-Shirt, n’ayant pas pu en avoir la première fois à cause d’une rupture de stock. Celui-ci lui dit qu’il doit aller chercher un carton de T-Shirt dans les offstages et Cooper lui demande si il peut l’accompagner.
Réponse attendue dans la vraie vie : “Bah non, il y a un plan vigipirate et on ne se connait pas ?”.
Réponse écrite par Shyamalan : “hey mais c’est le père de l’année qui m’a posé des questions sur la police ! Bien sûr, suis moi copain !”
Le scénario joue jusqu’à à outrance le cliché du loup qui se cache parmi les brebis. Voyons voir désormais ce qu’il va bien pouvoir obtenir durant ce nouvel échange :
Cooper : *tousse*
Vendeur : « N’en dis pas plus 😉 Les forces de polices sont dirigées par une profileuse experte en sérial Killer, ancienne membre de la CIA, elle est parvenue à en arrêter pas moins d’une dizaine car elle les a si bien étudiés et qu’elle peut prédire le moindre de leur mouvement. La par exemple, si le boucher était juste devant moi, elle n’en ferait qu’une bouchée, ahah.
Au fait, si jamais tu te retrouves face aux forces de l’ordre dans des endroits où tu n’es pas censé être (petit chenapan !) tu peux leur donner le code : “Hamilton”, comme ça ils n’auront aucun soupçon sur toi ! Maintenant je vais chercher le carton tout en haut de cette pile, en espérant que personne n’en profitera pour prendre mon badge qui ouvre toutes les portes et qui dépasse de ma poche arrière… D’ailleurs, tu ne devineras jamais le numéro de ma carte bleue ?! »
Ce qui me fume, c’est que durant ce dialogue Cooper est circonspect, pas serein et patibulaire dans ses réponses, je sais qu’on est dans une double énonciation, le protagoniste partage avec le spectateur une information que son interlocuteur n’a pas, mais faut pas non plus abuser. Pour la scène suivante, on monte d’un cran de plus dans le foutage de gueule (si si, c’est possible).

Hitman en mode “very easy”
Désormais l’heureux propriétaire d’un badge, un champ de possibles s’ouvre à Cooper. C’est donc tout naturellement et en toute logique qu’il se retrouve dans une salle de pause où une quinzaine de policiers reçoivent leurs consignes. J’aime bien cette vision de l’organisation des forces de polices que nous propose Shyamalan, qui organise son plan d’attaque, non pas en amont, au commissariat, mais pendant l’attaque. Quoi qu’il en soit, ici l’intérêt était de montrer la dangereuse prise de risque de Cooper, on quitte l’univers de Tom et Jerry pour rejoindre celui du jeu vidéo Hitman en mode très très très facile. Notre caméléon a encore une fois eu de la chance, car ayant été mis au fait du plan d’attaque des policiers, il récupère également un talkie walkie et l’oreillette qui va avec, tant qu’on y est.
A partir de ce moment du film, la profileuse experte va lui donner l’intégralité des informations en temps direct.
Cooper, qui voulait allumer l’alarme incendie et créer un mouvement de panique, apprend grâce à l’oreillette que la profileuse s’attend à ce qu’il réagisse de cette manière, elle demande aux policiers de se tenir prêts. Il se ravise donc et poursuit son chemin. C’était tellement gros que je me suis demandé si les incroyables coups de bol de Cooper ne faisaient pas partie du plan de la profileuse (Inception de spoiler : non).
Alors que Riley commence enfin à se poser des question sur l’absence de son père, un nouveau pan se dessine dans l’esprit machiavélique de celui-ci. Il repère une porte qui semble mener vers l’extérieur, mais celle-ci est gardée par deux agents de police. Je me suis sérieusement demandé s’ il allait balancer une pièce pour faire diversion. Et quand je vois ce qu’a proposé Shyamalan, j’aurais préféré…
A côté de cette porte se trouve un fast food, Cooper jette un œil en cuisine et remarque de l’eau en ébullition dans une friteuse et à côté des bouteilles de soda en verre. On a une vague idée de ce qu’il compte faire, mais ce qui va être amusant, c’est de voir comment il va justifier sa présence en cuisine pour son sale coup. Et bien, nous n’aurons jamais la réponse. On aura juste un plan à la première personne où on voit la main de Cooper augmenter la température de l’eau. Je pense que Shyamalan, où devrait-on dire, David Goodenough, ne semble lui-même pas y croire une seconde, et s’est probablement dit qu’on ne pourrait pas lui reprocher une séquence si on ne peut pas la voir 😉

Les bouteilles explosent dans un bruit tonitruant (je suis pas sur que du verre dans de l’eau bouillante réagisse de cette façon), et les deux flics, je dis bien les DEUX policiers qui surveillent la porte, se précipitent vers la cuisine. Je pense qu’ils n’ont pas bien saisi l’intérêt de la surveillance à deux, c’était probablement Yvain et Gauvain, c’est ainsi que les choses se passent dans le monde merveilleux de Cooper.
Il arrive ensuite à duper les agents sur le toit car ici personne ne semble avoir de cerveau. On commence à s’y habituer, mais M. Night Shyamalan force une fois de plus : les agents livrent à Cooper une cascade d’informations, notamment sur la profileuse, simplement en échange du mot de passe “Hamilton”.
Une évasion spectaculairement nulle
Par à énième coup de destin, Cooper entrevoit enfin la sortie : Il parvient à faire du chantage affectif à des opérateurs, ou des PNJ, vu le niveau de coopération, pour que sa fille soit sélectionnée parmi la foule afin de rencontrer Lady Raven dans les backstages.
On assiste ensuite à la prise d’otage la plus pitoyable et peu crédible de l’histoire du cinéma. Cooper parvient à s’échapper en faisant encore une fois du chantage, cette fois-ci avec Lady Raven, pour lui faire peser la mort de l’homme enfermé dans son sous-sol, vidéo à l’appui, sur la conscience si elle l’aide pas à sortir. Par un miracle propre à Shyamalan, elle s’est donc retrouvée seule avec Cooper, sans aucun garde du corps, sans maquilleurs ni aucun membre du staff, et voyant le fou furieux lui parler de son otage, elle panique et part en courant chercher de l’aide.
Mais bien sûr que non, je plaisante ! Elle conserve un calme olympien et lui dit : “Ok Cooper, je ferais tout ce que vous voudrez.”
La fin de Trap est une longue et interminable agonie. En fait, j’ai ressenti le même malaise que lors de la demi-finale de la coupe du monde de 2014 Allemagne-Brésil, avec 5-0 dès la première mi-temps, on en peut plus, il faut que ça s’arrête, il faut abréger ses souffrances…
Cooper nous fait une évasion à en faire pâlir Grindelwald avec sa fille et Lady Raven, et parvient à se réfugier chez lui. Le reste est tellement bordélique qu’il m’en reste qu’un souvenir flou. Il oblige Lady Raven à jouer le jeu, et le pire, c’est que cela fonctionne : sa fille est super contente de rentrer à la maison avec sa star préférée et ne se pose aucune question, la femme de Cooper non plus d’ailleurs, pour tout le monde la situation est parfaitement normale.

Cependant, Lady Raven, pas la moins terrorisée du monde, commence à prendre la confiance et à retourner le jeu contre Cooper, notamment en le poussant jusqu’au bout de son rôle devenu intenable de père parfait pour en faire apparaître les fissures. En lui mettant des coups de pression devant sa famille, elle parvient momentanément à prendre le contrôle de la situation et à contacter la profileuse de l’année qui était déjà en route vers pôle emploi.
Les flics débarquent chez lui, il se fait arrêter et menotter, mais il parvient encore à s’enfuir (deuxième escape, comptez-les biens car vous n’êtes pas au bout de vos surprises !) grâce à une tige qu’il récupère dans le vélo allongé au bord du jardin. Il est tout seul à l’arrière du fourgon. Le gars a réussi à s’enfuir d’une salle de concert barricadée, mais oui c’était probablement une bonne idée de laisser tout seul à l’arrière, que pourrait-il bien faire de mal ? Et puis laissons lui le temps de redresser le vélo de sa fille tranquillement aussi !
Cooper parvient à s’emparer d’une voiture mais se fait rapidement intercepter et encercler. Est-ce la fin de notre petit malin ? Que nenni, prend des notes Michael Scofield, 3éme évasion. Lorsque les policiers entourent sa voiture, une foule intriguée s’amasse tout autour de l’opération, et devinez qui on aperçoit, discrétos avec sa casquette noire ? La encore une fois, Shyamalan ne pouvant l’expliquer lui-même, décide de mettre une ellipse en guise d’explication. Lorsque Cooper s’échappe de la voiture pourtant encerclée, ma pote au cinéma m’a dit « t’as vu il est derrière dans la foule”, j’y croyais pas, je me disais que le film ne pouvait pas se foutre de notre gueule à ce point.
La 4éme évasion a été retirée du film, peut être qu’un producteur a enfin demandé à réduire la voilure. Il s’agissait d’une prise d’otage dans une boutique, où en quelques minutes Cooper a eu le temps de scotcher le gérant et le suspendre au plafond avec des fils, comme une marionnette. Le CNRS continue de bosser dessus pour en comprendre la signification.
Vous pourrez tout de même retrouver la scène dans cette compilation des scènes retirées du film que je vous partage.
Le film se termine (enfin) lorsqu’il tente de retourner chez sa femme, pensant qu’il avait suffisamment d’emprise sur elle pour qu’elle ne le trahisse pas (oui, notre Mac Gyver peut être idiot parfois, même dans son monde idéalisé). Il se fait cueillir comme une fleur par 30 CRS + la profileuse. Dans un assaut final, Cooper finit tétanisé comme un poulet et s’effondre au sol, emporté par la solitude d’un roi qui tombe…ET NON CAR IL SE RELÈVE, s’empare des ciseaux et le temps que Michel, Bernard et Didier comprennent ce qui passe et lèvent leur fusil d’assaut, Cooper a le temps de crever les yeux d’un mec. Si avec ça il a pas mérité sa place dans le prochain Avenger Doomdsay je comprends plus rien. Bon, cette fois c’était la dernière, Cooper se fait tirer dessus, et le tango endiablé s’achève pour de bon.

Comme souvent avec ce réalisateur, la promesse du pitch n’est pas au rendez-vous. Malgré un Josh Hartnett qui nous livre une prestation remarquable, il faut bien le dire, cela ne suffit pas à faire oublier les erreurs d’écriture et les innombrables incohérences.
Qu’il est loin, le temps du Sixième Sens, où la révélation finale avait quelque chose de véritablement vertigineux, grâce à son scénario parfaitement ficelé. On y découvrait, avec horreur, une double lecture de tous les événements que l’on croyait avoir compris.
Ici, voulant en faire des tonnes pour absolument surprendre le spectateur, rien n’a de logique et chaque retournement de situation nous rend toujours plus dubitatif.
Et c’est dommage car il y avait d’autres pistes à explorer. Dans un style, certes qui aurait été très différent de celui de Shyamalan, moins spectaculaire, pourquoi pas proposer quelque chose dans l’héritage de la Vingt-cinquième heure de Spike Lee, où l’on suit un homme condamné à perpétuité durant sa dernière journée de liberté. On aurait pu avoir un Cooper, se sachant définitivement perdu après de premières vaines tentatives, tentant de retarder le moment inévitable en passant un dernier moment de qualité avec sa fille, en proie aux premiers remords, à l’humiliation à venir de sa double identité révélée à tous, la déception de sa fille. Peut-être même, sans le pardonner, aurions-nous pu avoir un début d’empathie pour lui.
Nous aurions également pu avoir un Cooper qui se prend au jeu du chat et la de souris, sentant sa fin approcher, mais voulant jouer jusqu’au bout, un peu comme Walt Withman.
Je constate par exemple que le film n’explore quasiment jamais, en tout cas pas de manière réaliste, le malaise entre les deux personnalités de Cooper : le malaise vis à vis de ses proches, mais aussi le dégoût qu’il pourrait avoir de lui-même. Il reste jusqu’au bout le petit malin qu’il pense être, nous ne verrons à aucun moment l’ombre d’une remise en question, un manque de nuance qui peut faire penser que le film a été écrit par quelqu’un de peu expérimenté, qui n’aurait certainement pas 30 ans de carrière dans le cinéma !