L'Antre de la folie

★★½☆☆

THE SEVERED SUN
-
DEAN PUCKETT

RÉSUMÉ :

Après le meurtre d’un membre de sa communauté, Magpie, fille du pasteur, voit la paranoïa s’accroître tandis que se répandent les rumeurs d’une bête tapie dans la forêt.

INFOS TECHNIQUES

Date de sortie: 16 mai 2025
Mettant en vedette: Emma Appleton, Toby Stephens, Jodhi May
Réalisation: Dean Puckett
Genre: Horreur
Durée: 80 min
Titre originale du film: The Severed Sun
Langue originale du film: English (en)

PRODUCTION

Pays de production: United Kingdom
Sociétés de production: BBC Film, Bankside Films, Creative England, BFI, iFeatures, Lunar Lander Films, Grasp The Nettle Films, Falmouth University, Takedown Pictures, Sound/Image Cinema Lab

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POUR ALLER PLUS LOIN

Affiche du film The Severed Sun. On y voit une femme brandissant une hache, sur un fond jaune.

Par Kevin Kozh n’air

19 septembre 2025

Note globale : 2,5/5

Sous le soleil de Satan

Déçu. Aucun autre qualificatif ne me vient à l’esprit après mon visionnage de Severed Sun, le premier long métrage de Dean Puckett. La bande annonce, ô combien alléchante, n’a pas été à la hauteur de ses promesses. J’ai le sentiment d’avoir été dupé, notamment par la place très centrale qu’occupait Toby Stephens, probablement l’un des acteurs les plus sous-cotés qui soit pour moi. Son interprétation du capitaine Flint dans la série Black Sails est tout simplement bluffante, il déborde tellement de charisme et d’une aura dangereuse qu’il efface (presque !) à lui seul tous les défauts de cette série.

 

The Severed Sun semble être une réinterprétation ou un genre de remake d’un court métrage du même réalisateur, The Sermon, qui s’est retrouvé dans plusieurs festival de cinéma de 2018. Et lorsque j’ai visionné ce court, j’ai tout de suite mieux compris pourquoi le long fonctionne si mal. Décortiquons un peu ce flop !

Toby Stephens dans The Severed Sun

De quoi ça parle ?

Le film se déroule dans des landes reculées en Cornouailles, à l’intérieur d’une communauté pastorale qui semble coupée du reste du monde. La foi chrétienne régit la vie de ses habitants, sous l’autorité d’un pasteur charismatique et patriarche avec qui t’as pas intérêt à rater le bénédicité matinale, justement incarné par Toby Stephens. Dès la scène d’ouverture, on y voit l’austérité de la vie cléricale, et notamment vis à vis des femmes, relayées au rang de maîtresse de maison et de glaneuses des champs, avec la douce perspective de rentrer le soir retrouver un mari violent (mais violent dans la lumière de Dieu, attention où est pas chez les sauvages ici ! quoi que…).

 

On y suit le cheminement de Magpie, la fille du pasteur, déjà maman malgré son jeune âge, et qui empoisonne son mari pour se libérer de son joug. Dans la village, on aime pas bien ces “féminazies” qui veulent prendre leur indépendance vis à vis des hommes ! Un rejet qu’on retrouve aussi bien chez les femmes, il n’y a pas de raison que ça ne soit pas le même taro pour toutes ! Du côté du pasteur Stephens, la pression commence à monter. Entre sa fille qui ne veut pas aller au champs, les soupçons de meurtre qui pèsent sur elle, et les habitants du village qui voient en elle une horrible impie, son pouvoir commencer à vaciller. Et comme si cela ne suffisait pas, depuis le crime de Magpie, certains rapportent avoir aperçu une Bête noire arpenter la forêt.

Emma Appleton dans The Severed Sun

Le mythe de la sorcière

Vous l’aurez compris, c’est avant tout un film qui parle de l’émancipation des femmes, dans un milieu où la dureté des conditions de vie ne fait que mettre en lumière l’importance vitale de cette émancipation. La façon dont cela est abordé n’est pas inintéressante, du moins ce n’est pas ce qui fait défaut au film. Je vais développer les quelques propositions que j’ai trouvé plutôt cool, notamment dans la façon dont elles s’imbriquent dans le récit, bien que ce n’est pas toujours fait de façon ultra subtile (je préfère commencer par les points positifs pour ne pas vous choquer trop vite ! )

Il y a notamment une remise en cause de la virilité. Le film met en miroir le pasteur, exhibant fièrement sa musculature en sortant à poil de chez lui, et David, frêle et sensible, fils du défunt mari de Magpie. L’un montre ses gros biscotos aux vaches et à un jeune prêtre ultra gêné, et l’autre révèle une vulnérabilité qui devient, aux yeux de Magpie, une force plus poétique à laquelle elle ne résistera pas bien longtemps.

Et vous devez vous dire qu’en comparant le corps du père à Magpie à celui de son amant je suis un gros dégueulasse ?! Et bien justement, dans ce film l’inceste est au cœur des schémas de domination. On a plusieurs exemples, notamment le moment où Magpie s’oppose vivement à Fred, un vieux de la vieille qui aime bien les femmes très jeunes, en particulier sa fille… Et lorsque les tensions montent au village et que Le pasteur se dispute avec sa fille, loin des regards indiscrets, il lui agrippe le coup de façon très ambiguë, laissant entrevoir autre chose qu’un “simple” père violent avec sa fille.
En obligeant le petit curée de campagne sans visage (bon, il a un visage, mais l’acteur semble tellement lisse et désincarné que je l’oublie instantanément, même lorsque je viens tapé son nom sur google..) à se marier avec sa fille, le pasteur prolonge son emprise jusqu’à la dimension intime, et renforce cette aura incestuelle.
On note également que le curé est un homosexuel refoulé qui est secrètement amoureux de David… Bref, ce village respire l’hypocrisie et l’aliénation de zinzin. Sous couvert de piété, chacun y devient à la fois prisonnier et gardien d’un système qui empêche tout véritable élan de liberté. Sympa l’ambiance.

Mais dans ces miasmes mortifères, un brin de sororité semble émerger. Si la mère de la jeune fille violée par son père ne trouve pas la force de s’opposer à lui et préfère voir en Magpie une hérétique, on observe pourtant en elle un lent glissement vers une prise de conscience. Dans la seconde partie du film, sa fille traumatisée semble d’ailleurs plus proche de Magpie que de sa propre mère et de son silence complice. L’impossibilité de vivre dans ce village de “caractère” trouve son écho dans la Bête noire, incarnation des pulsions refoulées ou d’une sororité naissante ? C’est selon. En tout cas, son rôle reste aussi flou que la caméra pétée de mon portable… Mais j’y reviendrai.

Le curé et David dans The Severed Sun

Rahhh, et voilà, l’aigreur ne peut plus attendre ! Si le film a bien su planter quelques graines intéressantes, la pousse va être très laborieuse. Les idées proposées ne vont jamais jusqu’au bout et se noient dans une mise en scène CATASTROPHIQUE, proposant des choix esthétiques qui ne vont nulle part. C’est dommage car on a le sentiment que rien ne fait sens, donnant au passage un aspect série B au film qui n’était pas voulu, je pense.

De bonnes idées sur le papier, mais une réalisation cracra

Les promesses non tenues par la suite arrivent assez tôt, avec une voix off qui déclame un texte philosophique sur le soleil et la lune. On enchaîne ensuite avec de longs plans contemplatifs sur ces landes écrasées de lumière, rappelant par moments cette ballade hypnotique qu’est Eny’s Men. Le grain vintage, ces lumières pâles et ouatées qui donnent l’impression d’être dans un rêve, et les plans serrés sur les visages qui renforcent l’étouffement, tout ça fonctionne très bien, mais encore faudrait-il savoir où ça va !

Ma déception vient du fait que le film ne tranche pas vraiment entre drame humain et mysticisme. Extraire de la matière horrifique de ces paysages isolés aurait pu être vraiment très cool, mais ça reste bloqué aux premières minutes. Avec une telle introduction, je m’attendais à quelque chose de beaucoup plus ambitieux, un rapport conflictuel entre l’homme et la nature, par exemple, voire même une réflexion sur la manière dont cette nature inhospitalière pourrait corrompre l’esprit des hommes. J’ai toute de suite pensé au Soleil de Satan de Bernanos, où un curé de campagne rencontre le Diable, et aussi à L’étranger de Camus, notamment le moment où Meursault, langui et presque dans une transe hypnotique à cause du soleil écrasant, tue l’Arabe. Et une dernière référence littéraire pour me la péter, après promis j’arrête, mais j’ai pensé à la notion de déterminisme paysager, que Sylvain Tesson développe dans son ouvrage Avec les Fées, en prenant l’exemple d’une contrée similaire, ma chère Bretagne ! Il évoque notamment l’impact de la vie sur les côtes, au bout du continent, sur le développement psychologique des Celtes. Si l’idée vous intéresse je vous partage un article où il en parle ici.

Des membres d'un village, mécontents, remontent une colline d'un pas pressé. Image tirée du film The Severed Sun.
Tout le village réuni, dans The Severed Sun

Mais le film n’en à rien à foutre du magnifique décor qu’il met en place, et les plans larges du début vont laisser place à des petits plans à l’intérieur de forêts et bosquets moins féériques par la suite. Le pont entre l’influence tellurique et la perversité puritaine des hommes pourrait être symbolisée par cette Bête noire, que l’on aperçoit d’ailleurs dès les 5 premières minutes… Subtilité, comme tu nous tiens. Il est difficile de savoir si elle existe vraiment ou si c’est une personnification de la haine de Magpie, la fin nous laisse penser qu’elle est bien réelle… Mais ce qui est intéressant à voir, c’est qu’entre son premier et son dernier meurtre, c’est à dire quasiment toute la seconde moitié du film, nous la verrons simplement lors de plan fixe épileptiques dans la forêt avec des racines noires qui gagnent du terrain. Est-ce qu’elles symbolisent l’éveil de Magpie, sa prise de force ? Le doute qui apparaît dans l’esprit des habitants du village ? On ne sait pas bien, et le pire, c’est que ça se voit que le réalisateur est lui-même dans le flou et ne sait pas trop quoi en faire, il nous balance ces symboliques dans la gueule et nous dit “démerdez-vous pour trouver un sens à tout ça !”

Également très déçu par rapport à l’esthétique et l’histoire annoncée au début. Il y a un côté cheap qui devient vraiment lourdingue à regarder. J’annonçais en introduction avoir compris pourquoi The Severed Sun a autant de lacunes en regardant le court métrage, et bien c’est justement car le film est conçu comme un court-métrage, et en aurait le même budget ! Tout semble amateur, prenons par exemple le nombre de gens du village à peine plus élevé qu’une promo de Lettres Classiques… Cela n’a l’air de rien, mais je vous assure que l’illusion d’une communauté aliéné par son fanatisme religieux ne dupe personne quand il y a 5 pélos pour donner une impression de foule. C’est particulièrement visible et pathétique lors des scènes de lynchage. On aura rien de fracassant du côté des costumes, et des accessoires, au point où il est assez difficile dé déterminer précisément à quelle époque est censée se dérouler l’intrigue.

Une créature cornue et noire, au centre d'un chemin dans une forêt. Image tirée du film The Severed Sun.
la créature cheap... heu je veux dire la Bête dans Severed Sun

Le côté amateur est particulièrement visible dans la façon de filmer. Les plans serrés et en fisheye, devant initialement donner cette sensation d’étouffement et de folie, sont utilisés jusqu’à l’écœurement sur n’importe quel personnage. On aura également le droit à un plan subjectif, celui de la Bête noire s’approchant lentement d’une maison, et c’est tellement mal fait et cliché qu’il m’a rappelé les Dents de la mouche, des Inconnus ! Enfin, on a une scène qui représente un genre de sabbat où le curé se fait enduire d’une huile noire par Magpie et David dans une danse macabre, entièrement filmée en caméra frein rouge, vous extirpant automatiquement de l’époque où vous croyez être. Oupsi !

Qu’est ce qu’il m’a déçu encore ? Ah oui, les musiques ! Hyper envoûtantes, des sons électro un peu cold wave, ressemblant un peu à du Carpenter, très intéressant au début du film, et qui ne s’arrêtera… quasiment jamais 🙃 Ce sont des musiques qui s’apprêtent particulièrement à la contemplation, et qui servent généralement à créer des moments de pauses, où de transition dans un film, souvent accompagnée d’une voix off. Ça donne ici un rythme très particulier, on a l’impression que le film nous prépare pendant 1h30 à quelque chose qui ne viendra jamais. Encore une fois, dans un court métrage ça peut passer, mais pas dans un long…

Et enfin, un dernier clou dans le cercueil, et ça ne sera même pas les nombreux faux raccords, ce sont les retournements de situation CLAQUÉS au sol. La scène où Le pasteur, devant tuant David, tue le plus gratuitement du monde Andréa, juste pour la beauté du geste et la surprise du spectateur, enterre définitivement le peu de crédibilité que le film avait encore. Quant au mexican standoff qui conclut le récit, ce vaudeville interminable se passe juste de commentaire, j’ai juste eu de la peine pour Toby Stephens qui devait réaliser à ce moment précis dans quel merdier il s’est engagé.

Une femme attaché à un enfin agricole et recevant des pommes de la part d'autres villageois. Image tirée du film The Severed Sun.
Emma Appleton dans The Severed Sun

Pour conclure

Comme on le dit souvent, toutes les histoires ont été racontées, mais ce qui compte c’est la façon de le faire ! Le problème avec The Severed Sun, c’est que beaucoup de gens ont raconté la même histoire en faisant beaucoup mieux. Autrement dit, c’est la figure de la sorcière, perçu par un regard puritain et hypocrite, le même qui, depuis toujours, s’abat sur l’ensemble des femmes se battant pour leurs libertés.
Malgré des acteurs convaincants, notamment Emma Appleton et Toby Stephens, qui ont probablement englouti tout le budget du film, la réalisation et la mise en scène sont beaucoup trop amateurs pour sublimer les questionnements intéressants qu’il soulève. On est malheureusement plus proche du Vourdalak que du Sermon de minuit, de Flanagan…

Si comme moi vous avez été déçu mais que l’univers folk horror et les thématiques abordées vous intéressent, je vous recommande chaleureusement The Witch, uns de mes films d’horreur préférés, de Robert Eggers, et surtout, l’immense et trop méconnu Les Sorcières d’Akelarre, de Pablo Aguêro !

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