L'Antre de la folie

LA ZONE DU DEHORS
-
ALAIN DAMASIO

RÉSUMÉ :

2084. Orwell est loin désormais. Le totalitarisme a pris les traits bonhommes de la social-démocratie. Souriez, vous êtes gérés! Le citoyen ne s’opprime plus : il se fabrique. À la pâte à norme, au confort, au consensus. Copie qu’on forme, tout simplement. Au cœur de cette glu, un mouvement, une force de frappe, des fous : la Volte. Le Dehors est leur espace, subvertir leur seule arme. Emmenés par Capt, philosophe et stratège, le peintre Kamio et le fulgurant Slift que rien ne bloque ni ne borne, ils iront au bout de leur volution. En perdant beaucoup. En gagnant tout.

INFOS TECHNIQUES

Date de sortie : 1999
Mettant en vedette : Capt, Leïla, Le Commandant A, la Volte
Auteur : Alain Damasio
Genre : Science-fiction politique, Anticipation, Dystopie
Volume : Environ 500 pages (selon l’édition)
Titre original du livre : La Zone du Dehors

POUR ALLER PLUS LOIN

Une cité sur Saturne, qui se situe à côté d'un grand cube noir

Par Kevin Kozh n’air

12 juin 2025

TW warning : je vais faire un parallèle entre le roman La zone du dehors et d’actu politique, et notamment parler de la Flottille de la liberté. Si vous vous sentez submergés par ce qui se passe en ce moment et que vous souhaitez faire un break pour préserver votre santé malade, c’est tout à fait compréhensible et je vous recommande d’attendre l’article de la semaine prochaine.

Quand l’actualité dépasse la fiction

C’est particulièrement difficile d’écrire cette semaine. Difficile de trouver du sens pour parler de ce qui me passionne, vous partager mes coups de cœur et mes réflexions, au regard de l’actualité qui brûle toujours plus fort, du bruit des bottes qui approche, l’internationale réactionnaire qui nous plonge toujours plus dans la dystopie de nos livres. J’ai pas beaucoup dormi ce week-end, j’avais les yeux et le cœur rivés sur le Madleen s’approchant de Gaza pour tenter de briser le blocus d’aide humanitaire, l’impression que quelque chose de grave allait se dérouler sous nos yeux. On a eu aussi Donald Trump qui a lâché l’armée sur des civils pour “apaiser” les manifestations à Los Angeles, et le rassemblement de toute l’extrême droite européenne à Montargis.

L’une des choses qui m’effraie le plus, c’est de voir avec quelle facilité les médias mainstream emboitent le pas de ce virage idéologique, quand ce n’est pas eux qui ouvrent la marche. La bolloréisation des médias, qui ne cache plus son combat civilisationnel et son rapport approximatif aux faits, est déjà suffisamment documentée, mais son objectif est tout de même atteint. Lorsque je rentre au bourg où j’ai grandi en Bretagne, on se croirait dans Rhinocéros de Ionesco, petit à petit, CNew a distillé sa haine et changé le cœur des gens, les valeurs humanistes et la tolérance ont disparu, noyées dans la peur de l’autre. L’obsession pour l’ordre a créé un climat où plus personne n’ose bouger le petit doigt. Le grand remplacement devient la plus grande inquiétude, là où la mixité n’existe pourtant quasiment pas.

Même des journaux habituellement plus sérieux me surprennent à diffuser de fausses informations et ajouter de la confusion dans une situation où se renseigner correctement devient mission impossible. Je ne partage pas la ligne éditoriale du Figaro, je pense tout de même que c’est un journal nécessaire dans le panorama médiatique. Cependant, je suis tombé sur des articles qui ont une manière très particulière de présenter l’actu… Comme celui-ci qui compare La flottille pour la liberté à l’Odyssée d’Ulysse pour en démontrer le manque de noblesse, pour dénoncer “le coup de com cheap d’une croisière” qui n’aurait rien avoir avec le courage du héros Homérique. Outre cette comparaison fallacieuse, n’est-ce pas la base de tout acte militant d’essayer d’avoir de la visibilité ? Oui, le but était d’interpeller les gens et ouvrir une brèche d’espoir sur la situation des gazaouis. Bien évidemment que ce n’est pas 250kg de riz qui vont sortir les Palestiniens de la famine provoquée par le gouvernement Israélien d’extrême droite. La traversée du Madleen visait une portée symbolique assumée, pour mobiliser un maximum de monde et attirer les projecteurs sur Gaza. Elle symbolisait à mon sens, la petite contribution qui met chacun face à ses responsabilités et qui encourage l’action. Cela fait peur, il faut agir, il faut en parler, il faut convaincre ceux dont la boussole de la dignité humaine s’est un peu, disons, déréglée ces derniers temps ? Mais c’est toujours plus efficace que de faire une analogie malhonnête avec la mythologie grecque.

Des traitements biaisés comme celui-là il y en a mille, Greta Thunberg n’intervient pas pour aider les gazaouis, mais parce qu’elle serait je cite “très investie dans la cause antisioniste” comme vous pourrez le lire ici. Et la, vous lirez que Netanyahou n’a pas armé des combattants de Daesh et l’Etat Islamique, mais a “former des milices”. L’armée israélienne a violé le droit international, uniquement “selon LFI”, et Rima Hassan à refuser de signer le formulaire d’expulsion vers la France juste pour faire chier le monde, ou alors peut être car ce formulaire l’obligeait à reconnaître l’illégalité de l’action de la Flottille de la liberté et l’interdiction pour elle d’entrer sur le territoire Israélien (et selon ce gouvernement, cela inclut bien entendu la Palestine), ce qui encore une fois, du point de vue du droit international, est une aberration.

Après avoir transmis des informations complètement biaisées à une génération de daron qui s’informe en scroolant Facebook sans jamais rien vérifier, à une génération de boomer gavée de sondages à la neutralité douteuse et directement commandités par le journal, Bolloré ou Stérin, Le Figaro pose à ces lecteurs cette question : “Approuvez-vous l’arraisonnement par Israël du bateau de militants propalestiniens, dont Rima Hassan ?”

À cette question malhonnête, qui ne rappelle ni le caractère illégal ni amoral de l’intervention du Tsahal, qui ne mentionne pas le but (apporter une aide alimentaire à un peuple en famine) de la traversée et qui qualifie les 12 membres du bateau de “propalestinien” (qui sous-entend anti-Israël), aucun doute sur ce que va être la teneur de la réponse. On peut en voir un bref aperçu en regardant les commentaires dans les articles du Figaro sur le Madleen, où de nombreuses personnes appellent sans aucune nuance à faire couler le navire. La vie des gens n’a plus aucune signification pour eux, peut-on parler ici d’ensauvagement ?

Je fais cette longue mise en contexte politique car dans mon découragement, je me suis rappelé une œuvre que j’ai lu il y a plusieurs années, écrite en 1999 et dont les pistes de réflexion résonnent étonnamment bien avec l’actualité. Comment résister ? Comment se faire entendre dans une société contrôlée, ou l’information est manipulée, où la surveillance est omniprésente et où le confort des libertés sacrifiées a engourdi les consciences. C’est la question à laquelle tente de répondre Alain Damasio dans la Zone du dehors. Nous allons tenter de voir comment fonctionne cette société dystopique et en quoi elle est encore plus insidieuse que celle de 1984 de George Orwell. Ensuite nous allons voir comment les protagonistes tentent d’en sortir, et de quelle manière cela fait écho avec l’action des 12 membres de l’équipage du Madleen.

Souriez, vous participez à une dystopie

Nous sommes en 2084 dans la société fermée de Cerclon I et le moins qu’on puisse dire c’est “bizarre l’ambiance”. Big brother c’est du passé. Finie la concentration d’un état puissant et omniscient qui observe le moindre fait et geste de ses citoyens, qui réduit le langage pour tuer la pensée, et qui interdit l’écriture. Ici, nous sommes en démocratie !
La société vit dans la sécurité absolue, les technologies de surveillance et le conditionnement psychologique des citoyens a fait disparaître la criminalité. Tout est normalisé, tout le monde a un confort minimal, des besoins primaires assouvis et un accès à l’alimentation garanti.
Les débats d’idées sont éteints puisqu’il n’y a plus de partis politiques. Tous les deux ans, chaque citoyen se voit attribuer un rang qui déterminera son nom et sa place dans cette société. L’attribution du rang dépend de ses actions, de son attitude dans le moule collectif, son obéissance, son QI et de ses compétences. Ceux qui se retrouvent en haut du classement auront le privilège de constituer le gouvernement. Cela ne vous rappelle pas un épisode de Black Mirror ? 🙂
Que se passe-t-il lorsqu’un habitant de Cerclon ne se conforme pas à cette société ? Nous le découvrons que vers la fin, mais il semblerait que leur traitement soit lié à un gigantesque cube noir de destruction de déchets radioactifs, à l’extérieur de la cité.

“Ce n’est pas la peur qui gouverne, mais l’absence de désir véritable.”

Alain Damasio – La zone du dehors

Nous suivons des membres de la Volte, une groupe de rebelles qui fait des actions pacifistes et qui organise des passages clandestins à l’extérieur de Cerclon, la zone du dehors. Nous allons plus précisément s’attarder sur la trajectoire de Boule de chat, une nouvelle recrue au sein de la Volte et petite protégée de Caps, professeur d’université et membre secret du Bosquet, la tête pensante de la Volte.

Le choix de l’appellation Volte vient du mot “Révolte”, et il s’en distingue pour plusieurs raisons :
– Le mot “Révolte” peut faire peur et sembler brutal, il évoque une insurrection violente contre des dominants. Mais ici, il n’y a pas de réel dominants, nous y reviendrons juste après, mais chaque citoyen de Cerclon participe à son insu à son enfermement, sans que cela ne bénéficie à qui que ce soit.
– “Volte” vient du verbe volter, un terme d’escrime qui signifie changer brusquement de direction, tourner sur soi-même pour esquiver ou surprendre. La où la révolte est rapidement identifiée puis neutralisée (par exemple, les Gilets Jaunes), la volte est plus souple et s’adapte en permanence.
– Le préfixe « re- » dans révolte suggère un retour à un état antérieur (comme si la liberté avait été volée et qu’il fallait la retrouver). Ici, la Volte n’est pas réactionnaire, elle cherche de nouvelles créations politiques et à sortir totalement du système, peu importe sa forme.

À travers leur parcours et leur survie dans cette société, Damasio nous dépeint un monde qui asphyxie la moindre individualité dans une banalisation déconcertante, et nous donne matière pour réfléchir sur notre monde à nous. J’ai beaucoup de mal à lire des textes philosophiques ou des essais, même quand les sujets me passionnent. Probablement car ma capacité de concentration ne me le permet pas, j’ai le sentiment de ne parvenir à assimiler aucun concepts. Ici, les idées étant diluées de la fiction, j’ai découvert avec beaucoup de plaisir et d’intérêt une partie des analyses sociologiques de Deleuze, Foucault et un peu de la philosophie de Nietzsche, cités à plusieurs moments dans le livre.

Un des concepts de Deleuze qu’on retrouve, c’est la manière dont chaque citoyen contribue à son propre enfermement, la société de contrôle lui donne une part active, en lui donnant l’illusion du choix. C’est le cas notamment et lorsque Capt rapporte un débat télévisé concernant la violence et la sécurité publique. On y apprend que le débat était organisé en amont, que l’intensification émotionnelle était mise en scène, l’argumentaire préparé à l’avance entre plusieurs intervenants qui, au final, partagent plus ou moins le même avis. Il n’y a aucun avis qui prend réellement une autre direction, et cela laisse l’illusion qu’on peut faire un choix entre un avis ultra conservateur et un avis un chouia plus modéré. Les auditeurs n’ont à aucun moment la possibilité la possibilité de penser que cette violence pourrait être légitime. Comment ne pas faire le parallèle avec notre société à nous. Je me souviens de la surenchère sur les questions d’immigration entre Darmanin et Marine Le Pen lors d’un débat télévisé. Ou encore ce débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella où les internautes se sont carrément inventés une love story tellement ils semblaient proches. Je ne vais pas reprocher à CNews d’avoir une ligne éditoriale, en revanche, entre cette chaîne d’extrême droite et M6 (Bolloré), BFM TV (Drahi), LCI et le JT de TF1 (Bouygues) qui s’alignent sur le(s) gouvernement(s) centre-droit d’Emmanuel Macron, je comprends que toute une génération qui a pris l’habitude de s’informer avec la télé ne puisse recevoir des idées de gauche, voire va carrément s’indigner qu’on puisse être de gauche aujourd’hui.


“Le citoyen est protégé de tout, sauf de lui-même — car il n’est plus vraiment un sujet pensant.”

Alain Damasio – La zone du dehors

Dans son ouvrage Foucault, Deleuze parlait de cette intériorisation du pouvoir qui passe également par l’autosurveillance, et Foucault, dans Surveiller et punir, évoquait la conformisation automatique de la conscience lorsqu’un individu est sous surveillance permanente. En jouant le jeu de la notation et du classement collectif, chaque citoyen de Cerclon consent à être à la fois son propre bourreau et la victime. Diviser pour mieux régner. On peut encore une fois faire un parallèle avec notre civilisation. Difficile de trouver du temps pour s’occuper des problèmes liés au pouvoir d’achat, aux déserts médicaux, la difficulté d’accès au logement, à la destruction de nos hôpitaux, de nos écoles et à la sécurité lorsqu’une majorité des médias et de nos élus fabriquent et entretiennent les stéréotypes des étrangers qui violent nos femmes, des arabes qui font du communautarisme lorsqu’ils ne travaillent pas et nous piquent notre boulot lorsqu’ils travaillent, des agriculteurs qui ne veulent pas s’adapter, des chômeurs qui ne veulent pas traverser la rue, les salariés obsédés par leur conditions de travail, et les bénéficiaires de prestations sociales qui ne font aucun effort. Chaque tranche de population devient un problème pour une autre et se surveille mutuellement, le lien social se délite, et pendant ce temps, le bloc bourgeois consolide sa mainmise sur les leviers de pouvoir et sur les principaux organes médiatiques. Le cercle vicieux est réel.

Je suis quasiment sûr que Damasio, dont le choix des mots est très important, a choisi le nom “Cerclon” pour désigner le côté circulaire de ce pouvoir qui étouffe tout le monde. Même A, l’homme à la tête du classement avoue son admiration pour Capt lorsqu’il se retrouve face à lui. Il reconnaît son courage, et confesse que lui-même n’y croit plus totalement, sans pour autant voir d’autres voies possibles.

Alors, quelle marge de manœuvre reste-t-il aux membres de la Volte ? Des manifestations pacifiques, des tags, la distribution de tracts, parfois même la réutilisation ironique des crieurs publicitaires (des dispositifs de propagande sonore qui inondent l’espace public de slogans.). Ce sont des gestes symboliques, qui tentent d’éveiller la curiosité des citoyens, mais qui sont aussi limités dans leur impact.
Le roman bascule justement au moment où le groupe commence à remettre en question ses modes d’action. Deux écoles apparaissent : d’un côté, ceux qui refusent la violence radicale, refusent de sombrer dans, n’ayons pas peur des mots, le terrorisme, par peur que le message ne soit plus audible et d’offrir une justification supplémentaire à l’austérité, à la surveillance et à la récupération politique
De l’autre côté, un noyau dur, dont font partie Capt et Boule de chat, est prêt à envisager des actions de sabotage, de vandalisme ciblé, pour forcer les citoyens à regarder et à réagir.
L’école des actions radicales l’emporte, et la Volte se retrouve amputée de plusieurs membres qui ne veulent pas suivre le virage.

La première action après ce changement de ton s’oriente vers le piratage d’une porte publique. La porte devait s’ouvrir aux personnes ayant un certain niveau dans le classement social, et le piratage devait changer cet ordre pour faire prendre conscience des problèmes liés aux dépendances des technologies et aux pulsions sécuritaires. Mais la réalité ne se déroula pas comme prévue, car une enfant et sa mère se retrouvèrent grièvement blessées à cause du système de sécurité qui s’est enclenché.

L’objectif est atteint, la Volte, qui se retrouve sous les projecteurs, a permis de montrer aux yeux de tous les ravages des systèmes de sécurité, mais à quel prix ?
Celle-ci entre dans une nouvelle phase de lutte, plus clandestine et désespérée, sous l’assaut répété des médias qui multiplient les débats sécuritaires et les pouvoirs publics déterminés à les traquer jusqu’aux derniers. Elle lutte également contre ses propres divisions intestines, certains membres étant horrifiés par le drame de la porte. Ce passage m’a fait beaucoup penser au traitement médiatique et mensonger des grèves, lorsque les chaînes d’info dévoilent les salaires des cadres en fin de carrière en faisant croire qu’il s’agit des salaires moyens de tout un secteur (Professorat, raffineurs et SNCF majoritairement) ou lors des manifestations, lorsqu’ils ne montrent que l’action des black block pour résumer l’ensemble du mouvement.

Acculée, La Volte prépare tout de même un dernier coup avec les membres restants, le piratage d’une grand antenne TV. Encore une fois, les choses ne se passent pas comme prévues. Je vous évite les rebondissements d’une scène d’infiltration assez impressionnante qui permet au groupe de militant d’accomplir à bien sa mission, mais il se retrouve désormais pris au piège dans cette tour par les forces de l’ordre, et finit par se faire arrêter. L’identité de Capt est donc révélée au grand jour. Tout à fait conscient que les privilèges liés à son classement vont disparaître à jamais, il se livre à cœur ouvert, d’abord lors de son entretien avec A dont j’ai pu parlé tout à l’heure, puis lors de son procès rendu public grâce à la télévision, et nous touchons là le point culminant politique et philosophique du roman.

Quand le rapport de force s’inverse

Nous assistons à la récupération politique du procès, qui n’est à la base pas fait pour donner une liberté d’expression à l’accusé, mais pour neutraliser définitivement la Volte en la discréditant encore une fois par un débat/procès/TV show préparé à l’avance. Cela m’a rappelé l’épisode “15 millions de Mérite” de Black Mirror avec Daniel Kaluuya. On est dans un monde où les gens sont obligés de produire de l’énergie en pédalant en continu pour obtenir des crédits qui leur permettent de customiser leur avatar virtuel où participer à des émissions TV. En termes d’aliénation on est pas mal là aussi. Kaluuya, au gré d’un énorme sacrifice, parvient à aider son amie à obtenir les crédits suffisants pour qu’elle participe à un genre de The Voice, son rêve absolu. Mais lorsqu’elle arrive à l’instant le plus important de sa vie, le jury l’humilie devant le monde entier. Au fond du gouffre, elle met fin à ses jours. Kaluuya pédale sans plus s’arrêter, décidé à venger son amie, et un jour, il parvient à se retrouver devant le même jury, non pas pour chanter, mais pour dénoncer les injustices de ce monde, de l’aliénation des individus, de leur désirs, la conformité de leur vie qui les enferme une prison. Le jury est estomaqué et ébloui par l’irrévérence et l’audace de Kaluua. Le cynisme de l’épisode est à son paroxysme lorsqu’ on apprend qu’après cela rien n’a changé, Kaluua a obtenu sa propre émission TV qui s’ajoutent à des milliers d’autres, disponibles sur les écrans des gens qui continuent de pédaler.

“L’ordre est parfait car chacun devient le gardien de sa propre conformité.”

Alain Damasio – La zone du dehors

Mais ici, la récupération gouvernementale échoue. Capt retourne la situation, expose la violence structurelle du classement, la surveillance généralisée, l’illusion de liberté dans ce monde normé et contrôlé. Par peur qu’il parvienne à émettre un doute dans la conscience des auditeurs, il est condamné à être éjecté dans le cube noire d’élimination de déchets radioactifs.

Je vais être honnête avec vous, la lecture remonte à un petit moment et je n’ai qu’un souvenir flou de la fin (et ce n’est pas qu’une stratégie pour vous encourager à le lire !). Je me souviens que Capt est récupéré in extremis du cauchemar nucléaire du Cube par le premier membre de la Volt qui y avait été exilé. Capt fait donc un retour messianique à Cerclon et parvient à convaincre suffisamment de monde de le suivre pour créer de nouvelles manières de faire société. Le mouvement est trop grand pour être réprimé, et l’impensable apparaît : de nouvelles colonies sont fondées à l’extérieur de Cerclon.

Ces colonies ne sont pas décrites comme des utopies figées, elles sont en mouvement permanent, pensées et puis repensées. Certaines parviennent à trouver un équilibre et à se développer, d’autres rencontrent plus de difficultés, se détruisent. Certaines personnes sont déçues et retournent à Cerclon, et rencontrent sur leur chemin des habitants de Cerclon qui à leur veulent tenter l’expérience.
Damasio nous enseigne ici que la liberté n’est pas quelque chose de facile à obtenir et qu’elle ne va pas de soi, elle est cependant essentielle de lutter pour l’avoir pour ne pas errer de la conformité, la dépendance et l’oubli de soi.

“Se libérer, ne croyez surtout pas que c’est être soi‑même. C’est s’inventer comme autre que soi. Autres matières : flux, fluides, flammes… […] L’intériorité est un piège. L’individu ? Une camisole. Soyez toujours pour vous-mêmes votre dehors.”

Alain Damasio – La zone du dehors

J’aime beaucoup cette phrase du roman qui donne tout son sens au titre. Alain Damasio nous invite, à l’instar de Nietzsche, à ne pas suivre la conformité comme des moutons, à nous réinventer en permanence, à trouver de nouvelles formes de luttes et de créativité politique, d’invention de soi et du monde.
C’est précisément ce qu’on fait Rima Hassan et Greta Thunberg ainsi que les autres membres du Madleen, cette traversée de la méditerranée pour livrer du matériel humanitaire et de la nourriture à Gaza a pris le monde entier au dépourvu. Acte courageux et désespéré pour certains, coup de com pour d’autres, on peut néanmoins en tirer plusieurs conclusions :
– Le monde entier avait les yeux rivés sur le bateau et Gaza est revenu au centre de l’actualité.
– Le blocus humanitaire de l’armée Israélienne, dont l’existence à pu être contesté (Enthoven, Barbara Lefebvre) a été démontré aux yeux de tous.
–  Les dirigeants ont été obligés d’entrer en action (avec beaucoup de mollesse il faut bien le dire).
– Plusieurs autres initiatives ont suivi l’exemple : les dockers de Marseille qui ont refusé de faire monter des cargaisons qui comprenait plusieurs centaines de tonnes d’armes pour l’armée Israélienne. Il y a aussi eu le gigantesque convoi qui traverse actuellement l’Afrique du Nord pour briser le blocus, etc.

Je termine cet article avec deux mots pour parler de Rima Hassan et je vous partage une vidéo de Le Média qui s’intitule “pourquoi tous les médias mainstream la détestent autant”. Je tenais à parler d’elle car aujourd’hui elle est devenue figure majeure de la cause palestinienne, qui rassemble autant qu’elle divise et en voici la raison : je n’ai jamais vu un tel décalage entre les commentateurs des médias et la réalité. Nous pouvons ne pas être d’accord sur plein de chose, mais je vous en conjure, ne vous fiez pas uniquement aux commentateurs, prenez le temps de regarder ne serait-ce que 5 minutes l’une de ses interventions sur des plateaux télé ou interviews, peut importe laquelle, et vous verrez qu’elle est très loin la sorcière Médée dépeinte par les médias. Elle dénonce les ambitions colonisatrices des gouvernements Israéliens successifs et s’appuyant constamment sur deux principes : le droit international (elle est juriste à la base) et une solution à deux états.
Et aussi, force aux communautés juives et musulmanes qui se retrouvent malgré elles au cœur d’un conflit géopolitique qu’elles ne contrôlent pas, et qui aspirent, pour la plupart, à la paix et à la reconnaissance mutuelle.

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