L'Antre de la folie

LA MACHINE À EXPLORER LE TEMPS
-
H.G. WELLS

RÉSUMÉ :

« Je vis des arbres croître et changer comme des bouffées de vapeur ; tantôt roux, tantôt verts ; ils croissaient, s’étendaient, se brisaient et disparaissaient. Je vis d’immenses édifices s’élever, vagues et splendides, et passer comme des rêves. Toute la surface de la terre semblait changée – ondoyant et s’évanouissant sous mes yeux. Les petites aiguilles, sur les cadrans qui enregistraient ma vitesse, couraient de plus en plus vite. Bientôt je remarquai que le cercle lumineux du soleil montait et descendait, d’un solstice à l’autre, en moins d’une minute, et que par conséquent j’allais à une vitesse de plus d’une année par minute ; et de minute en minute la neige blanche apparaissait sur le monde et s’évanouissait pour être suivie par la verdure brillante et courte du printemps. »

INFOS TECHNIQUES

Date de sortie : 1895
Mettant en vedette : Le Voyageur du Temps, Weena, les Morlocks
Auteur : H. G. Wells
Genre : Science-fiction, Anticipation
Volume : Environ 120 pages (selon l’édition)
Titre original du livre : The Time Machine
Langue originale du livre : English (en)
Profil Goodreads
Site web (domaine public via Project Gutenberg)

LECTURE AUDIO

Une fumée verte qui semble magique s'échappe d'une fenêtre fermée.

Par Kevin Kozh n’air

08 juin 2025

L’un des intérêts de découvrir la littérature SF sur le tard est que le terrain a été exploré, fouillé et balisé par bien d’autres avant soi. On peut ressentir de la crainte quand on veut découvrir un nouvel univers, par où commencer ? Quel chemin prendre dans cette infinité de sujets, de styles, de réflexion ?

De mon côté, je commence ce voyage par les livres qui ont été désignés par la commu SF comme “les classiques”. La machine à explorer le temps se retrouve souvent dans les livres SF incontournables, avec La guerre des mondes du même auteur bien sûr, et que je lirais plus tard, car j’en ai déjà une vague idée grâce à l’adaptation de Spielberg.

Après une lecture ô combien savoureuse, je pense que l’intérêt du roman peut être synthétisé en ces termes : à quoi ressemblerait la vie sur terre dans 800 000 années ? L’homme serait-il encore là ? Nous suivons dans cette histoire l’incroyable aventure d’un ingénieur loufoque pour le découvrir. 

Quand la SF interroge notre avenir

C’est une des choses que j’ai appris à aimer avec la SF, celle qui tente d’imaginer le futur de manière la plus réaliste et rationaliste possible. Finalement le seul élément qui relève un peu de l’imaginaire est cette fameuse machine, pour le reste, c’est de l’observation clinique. C’est d’autant plus appréciable que j’ai le sentiment que les films où les livres SF tentent généralement d’imaginer un futur plus ou moins proche, disons entre le 21e et le 23e siècle.  C’est le cas notamment pour Children of Men, Bienvenue à Gattaca, Her, Ad Astra ou encore Black Mirror, même les films totalement dystopiques comme Matrix ne dépassent pas cette limite (2199, d’après Morpheus).

Mais pourquoi ne pas aller vers des temps plus lointains ? Et bien car nous avons besoin de pouvoir faire le lien avec notre monde à nous, notre société. Dans ces mondes du futur, avoir des repères que l’on connaît nous permet de nous dire que nous pourrions avoir cette vie et ces problèmes dès demain. Cela nous permet aussi d’embrasser totalement le propos du film et nous faire réfléchir face à ce miroir tendu vers nous-même, sur ce qu’on y voit.

Dans La Machine à explorer le temps, qu’est il donc devenu de notre chère Terre ? Avant de répondre à cette question, j’aimerais juste m’arrêter un instant sur le style de l’auteur. J’adore cette narration qui reprend les codes du carnet de voyage. Le narrateur observe, s’étonne, et compare ce monde nouveau avec le sien. L’ouvrage a été publié en 1898, et d’abord dans une version antérieure en 1888, que nous n’avons jamais pu retrouver, H.G. Wells à tenté d’en acheter tous les exemplaires car il n’en était pas satisfait. J’aime beaucoup cette écriture propre au 19e, début 20éme, très scientifique, et qui me fait penser un peu à celle de Jules Verne ou Lovecraft. Pour la suite de cette critique, je vais vous parler du pitch et essayer de vous donner envie de vous plonger dedans, puis je vais parler des thèses de l’auteur et ce qu’il a voulu exprimer à travers son roman !

Le voyageur du temps se retrouve en l’An 804 000 et découvre que la ville d’où il provenait a disparu. Il est entouré de forêts et de végétation à une exception près : il y a une statue du Sphinx, posée sur un piédestal. Heureux de constater que les traces de l’Homme n’ont pas encore totalement disparues, il s’en approche et découvre au loin de grandes fortifications aux architectures complexes. Soudain, il prend peur. 

Il se questionne sur ce qu’est devenue la race humaine, et s’inquiète que son évolution l’ait emmené loin des valeurs humanistes et fraternelles de son époque. Il craint d’être perçu comme un barbare et une menace à éliminer. Ses doutes sont rapidement dissipés lorsque de petits êtres chérubins s’approchent doucement de lui. Il parvient même à s’amuser de la curiosité presque enfantine qu’ils ont à son égard. Voici les héritiers de l’humanité : des êtres d’environ 1m20, des petites oreilles, une petite bouche et de grands yeux inoffensifs tous habillés de la même tunique. 

Le voyageur tente d’ouvrir un dialogue, mais semble désorienté par leur enthousiasme rieur qui leur laisse un sourire étrange sur le visage. Pas un sourire sardonique, un sourire vide, qui ne témoigne rien de particulier. D’ailleurs, une fois leur curiosité satisfaite, ils se désintéressent du nouveau venu et repartent à leur occupation comme des enfants pressés de retourner jouer. 

Le voyageur reste quelque temps avec eux pour mieux comprendre qui ils sont et comment ils vivent. Il est rapidement mis face à l’évidence : L’humanité a régressé, ces petits êtres ont un langage diminué, une intelligence limitée, des émotions peu nuancées. Ils mangent, ils dorment, ils vont se promener, se baigner, ils jouent, certains disparaissent car ils n’ont aucune notion du danger. Ils ont néanmoins peur d’une chose : la nuit, car des créatures pâles sortent des profondeurs, ressemblant à des araignées humaines, les Morlocks.

Un homme répare la machine à explorer le temps.
©La machine à explorer le temps, l'adaptation cinématographique de George Pal

Que s'est-il passé ?

Si vous n’avez pas lu le livre, cette deuxième partie pourrait vous gâcher l’intérêt car je vais parler de là où l’auteur a voulu en venir, et sans détour !

Wells a eu l’intelligence d’inclure un obstacle narratif afin de forcer son narrateur à explorer ce monde du futur, en mettant en scène la disparition de la machine à explorer le temps. Convaincu que sa machine a été emportée par ces êtres blêmes, le narrateur nous livre son analyse de ce qui a bien pu arriver à l’humanité pour qu’elle ait pris cette forme double : les Élois, qu’il a rencontré à son arrivée, et les Morlocks.

Pour remettre les choses dans leur contexte, le roman a été écrit lors de l’émergence de l’ère industrielle. La classe bourgeoise entame une mutation, elle ne s’accomplit non plus par la propriété foncière, mais par l’accumulation du capital productif, et à côté apparaît la classe ouvrière, composée de salariés des usines, dont la condition est décrite et théorisée par Marx et Engels. Il n’y a aucune doute sur le fait que Wells ait été sensible à leur travaux, car dans le monde du futur tel qu’il imagine, les Élois sont les descendants de cette bourgeoisie, détentrice des moyens de production, et les Morlocks ceux de la classe ouvrière, aliénée et exploitée par le travail.

Je me suis demandé au fil de ma lecture si H.G. Wells était de droite ou de gauche. Avec la thèse que je viens d’énoncer, la question est “vite répondue” comme dirait un certain philosophe ! Cependant, avant de découvrir les Morlocks, son narrateur émet une théorie, incomplète à ce moment-là du récit, mais qui laisse tout de même planer le doute : Les êtres humains se seraient-ils diminués avec le temps à cause de leur confort. Les Élois seraient l’évolution de l’homme après presque un million d’années sans guerre, sans connaître la faim, les pandémies, sans s’inquiéter de son confort social et matériel ni sans rencontrer aucun obstacles particuliers. Alors, cela voudrait dire que lorsqu’on cesse de se battre pour ses droits, pour améliorer sa condition de vie, lorsqu’on cesse toutes formes de combat, nous créons des générations d’arriérés ?!
Je ne suis pas sur que c’est le chemin qu’à souhaiter prendre Wells. Lorsque son narrateur découvre l’existence des Morlock, il comprend que ce n’est pas l’évolution de l’humanité, mais uniquement de la classe bourgeoise de son époque. Il y a presque un aspect punitif.

Mais qu’en est-il alors des Morlocks, pourquoi la classe ouvrière est devenue une masse grouillante de monstres sans foi ni loi, voleurs, tapis dans l’ombre comme des rats, et cannibales, de surcroît ? On peut imaginer pour des raisons inverses, comme si les deux sociétés étaient mises en miroir. La pauvreté, la faim, l’incapacité d’assurer sa survie, le danger permanent, l’humiliation de l’exploitation, une puissance capitaliste qui rogne toujours plus leur condition de travail pour augmenter leur gain et réduire les coûts.

Il est intéressant de remarquer que le rapport de force à changer, bien que la soumission au Élois est désormais inscrite dans le patrimoine génétique des Morlocks (ils continuent de coudre leur vêtements par exemple, sans même savoir pourquoi ils le font), ceux-ci n’ont plus aucun scrupules à sortir de terre pour les attraper et les manger. Ils sont néanmoins contraints de ne sortir que la nuit, car au fur et à mesure des années, le travail des usines sombres et les habitats délabrés dans des sous-sols obscurs les ont rendus photosensibles.

En faisant quelques recherches, j’ai appris que Wells était membre d’une société revendiquant des idées socialistes, mais qu’il a pris ses distances avec le léninisme dont il voyait une gestion de l’économie catastrophique que allait se répercuter sur le peuple, malgré l’abolition des classes sociales. Je vous partage ma source, il s’agit du compte rendu de l’ouvrage H.G. Wells, la Russie dans l’ombre, sur le blog Dissidence, pour lire l’article c’est par ici.

Dans son essai Anticipation De l’influence du progrès mécanique et scientifique, sur la vie et la pensée humaines, H.W. Well imagine le monde de demain à travers plein d’aspects (la place croissante des technologies, la concentration vers les villes, la médecine, les guerres, etc) et revient encore une fois sur cette classe ouvrière qui deviendrait “le peuple des abysses”. Il en parle avec des termes durs, déshumanisants et dégoûtants, pour faire prendre conscience à son lecteur de la dangerosité du capitalisme sur l’humanité.

Je ne l’ai pas encore lu, mais je l’ajoute à en haut de ma très haute pile de lecture, en attendant, et pour aller plus loin, je vous partage cet article du webzine À l’encontre sur l’économie et les impacts sociaux pensés par H.G. Wells.

6 morlocks, des créatures mi ogres mi humain regardent vers nous.
©La machine à explorer le temps, l'adaptation cinématographique de George Pal

Pour conclure

Ravi d’être tombé sur cette pépite qui m’a donné beaucoup à réfléchir sur la lutte des classes et leurs conséquences sur le long terme ! Je ne vous ai pas parlé de la fin du roman où l’explorateur parvient à retrouver sa machine et continuer son voyage vers les confins du temps sur la Terre, là où l’humanité a totalement disparu, car il y a moins de réflexion mais c’était un très beau passage de poésie et de contemplation. Ce roman, et notamment la découverte des Élois, a probablement été une grande source d’inspiration pour Dan Simmons, dont on en retrouve presque l’existence dans son roman Hypérion. C’est LE roman qui m’a permis de commencer cette passionnante exploration des livres SF, alors c’est toujours gratifiant d’en découvrir les quelques sources d’inspirations !

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