★★★★☆
COMPANION
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DREW HANDCOCK
RÉSUMÉ :
Josh et Iris semblent incarner le couple parfait. Mais lors d’un week-end entre amis qui vire au drame, un secret bien gardé fait tout basculer…
INFOS TECHNIQUES
PRODUCTION
VOIR LES TRAILERS (ATTENTION AUX SPOILERS...)

Par Kevin Kozh n’air
Note globale : 4/5
Une communication erronée ?
Avant de commencer cette critique, je dois rétablir la vérité sur une fausse information qui s’est propagée à la vitesse de l’éclair : ce film n’a PAS été réalisé par Zach Cregger, le réalisateur de Barbarian !
On est en train d’assister à un “syndrome de l’étrange Noel de Mr Jack”, réalisé par Henry Selick et que tout le monde a associé à Tim Burton (Cependant, c’est bien Tim Burton qui devait le réaliser, comme vous pourrez le lire ici). Cela ne doit pas être évident pour Drew Handcock de voir partout que son film est associé à son collègue Zach Cregger.
D’où est partie une telle rumeur ? Cet article du Hollywood Reporter nous éclaire un peu la dessus : Cregger n’a pas totalement rien à voir avec le projet. À la base, le scénario et le script de Companion ont été écrits par Handcock pour son studio de production Boulder Light Picture. Cregger, qui avait déjà réalisé son excellent Barbarian avec la même production, s’est vu attribuer la réalisation du film, car Handock n’avait pas encore réalisé de long métrage. Cependant, Cregger avait déjà écrit et scénarisé son prochain film, Weapon (Ma plus grand attente du moment, je vous partage la bande annonce ici). Il parvient même a trouvé un gros studio pour la production, la New Line Cinema, qui travaille étroitement avec la Boulder Light Picture, et qui promettait un budget de 39 millions de dollars ainsi qu’une garantie de sortie au cinéma. Ne pouvant refuser une telle proposition, il a préféré se retirer du projet Companion, mais il était si emballé par le script, qu’il a encouragé la Boulder Light Picture à prendre Handcock comme réalisateur. Il s’est aussi engagé à en devenir producteur, pour garder un œil sur le projet.
On note également qu’une énorme communication a été faite, et que ce soit dans les affiches ou dans les trailers, on retrouvait cette info “par les créateurs de Barbarian”. Quand le marketing frôle la désinformation…
Quoi qu’il en soit, c’est un pari risqué pour le studio de production, quelles en ont été les conséquences ? 40 millions de dollars de bénéfices 2 mois après sa sortie, pour un coût de production de 10 millions (box office mojo). La confiance a payé, non seulement c’est un énorme succès commercial, mais également critique, ce qui est remarquable car pour rappel le film est sorti entre le teenage movie M3GAN et sa suite, M3GAN 2.0, dont la similitude des sujets aurait pu créer une lassitude auprès du public.
C’est d’autant plus surprenant qu’il y a plusieurs points communs entre Barbarian et Companion, je pense notamment à cette volonté de créer plusieurs retournements de situations qui vont bouleverser notre compréhension de l’univers et de l’intrigue. Il y a également un côté comédie noire qu’on retrouve dans les deux films, un certain regard très cynique sur l’égocentrisme et la vacuité des hommes. Par exemple, dans Companion, Jack est intimement convaincu que la société plonge les homme comme lui dans la solitude, et le propriétaire immobilier, dans Barbarian, exulte de joie lorsqu’il découvre que son airbnb possède un sous-sol creepy qu’il ne connaissait pas, ça fait des m² en plus !
Annoncer le thème.. sans spoiler

L’histoire est relativement simple : Josh se rend dans une maison de campagne proche d’un lac pour y rejoindre ses amis, afin de leur présenter Iris, sa nouvelle compagne. Iris est inquiète, car elle a déjà rencontré Kat, la meilleure amie de Josh, et elle ressent de l’animosité de sa part. Vas–elle réussir à se faire intégrer et accepter par les proches de l’homme de sa vie ?
Donc ça, c’est le postulat de base, et si vous avez vu le trailer et les affiches, vous savez que c’est un leurre ! D’ailleurs si vous avez vu les trailers, vous avez vu à peu près tous les plots twist du film. Mais heureusement, je n’avais vu que l’affiche, et pensant à coup sûr qu’il s’agissait du nouveau film du réalisateur de Barbarian, j’y suis allé sans trop me renseigner.
Quel délice ! Le film ne fait pas peur en soi, il y a des scènes de tensions un peu sanglantes mais on est plus sur un film de soft SF, un genre de Black Mirror plus punchie et plus funky, que sur de l’épouvante. Au-delà des twists très qualitatifs et qui ne nous lâchent pas une seconde, c’est une satire sociale efficace qui nous questionne sur le couple, notre rapport parfois utilitaire à l’autre, sur les incels, les relations toxiques et l’emprise.
On part sur des SOILERS bien salés sucrées pour la suite. Ami-e-s cinéphiles, votre curiosité vous perdra si vous continuez sans avoir vu le film, car ses rebondissements sont savoureux !
Première révélation : Iris n’est pas humaine, mais un robot. On ne tombe pas des nues, c’est une info dont on se remet relativement vite, car l’affiche du film (et surtout les bandes annonces) ne laissait aucun doute la dessus : on y voit Sophie Thatcher (qu’il faut absolument que j’arrête de confondre avec Margaret Thatcher) enlaçant son compagnon, avec des yeux blancs sans pupille et avec un sourire sardonique sur le visage. Il faut bien annoncer le thème du film, non ?
En revanche, là où l’affiche réussit son coup, c’est qu’elle ajoute “Elle pourrait tuer pour vous”. Une fausse piste qui fait du bien, qui laisse penser que le Iris pourrait s’avérer plus dangereuse qu’un simple robot programmé pour une relation amoureuse, qu’elle représente LA menace du film.

Faire confiance au réalisateur
N’ayant aucun spoilers de la BA en tête et étant sur le qui-vive (je croyais toujours que c’était Cregger aux manettes), je m’attendais à un coup fourré et je l’ai joué à la Socrate en mode “je sais que je ne sais rien”, “peut être que ce n’est pas elle le robot ?”. Dès la première séquence de rencontre entre Iris et les amis de Josh, les scènes de danse étranges, ses conversations très consensuelles autour de l’amour, où chaque couple partage la (trop) belle histoire de leur rencontre, crée un immense malaise. Et moi, dans ma naïveté extrême, je commençais à me questionner sur l’intention du réalisateur : ce malaise, est-il volontaire ou est-ce une giga faiblesse d’écriture ?
Pour ma défense, le film met parfaitement en scène ses fausses pistes pour briser la vigilance du spectateur. Je pense notamment à Sergueï, le copain de Kat, un russe patibulaire, inquiétant, riche et mégalomane, propriétaire de l’immense domaine où va se dérouler le film, qui nous fait croire à tout moment que c’est le personnage qui va commencer les hostilités. Eli, le pote de Josh et son compagnon Patrick ont une aura étrange, comme si leur amour était trop beau pour être vrai, la dinguerie aurait pu venir de ce côté là aussi. Idem lorsque Josh et Iris vont au lit et qu’ils font l’amour, la scène se termine très rapidement, on pourrait presque lire de la déception dans les yeux de Iris. Alors qu’elle tente d’ouvrir un dialogue, Josh se retourne et lui dit “Dors, Iris”. Encore une fois, Handock a eu l’intelligence de faire un cut rapide vers la scène suivante pour qu’on puisse observer la froideur de Josh sans pour autant comprendre qu’il s’agissait en fait de la commande pour mettre Iris en veille.
Je n’ai toujours rien vu lorsque Josh demande la météo à Iris et que celle-ci lui répond avec une précision étonnante (à ce moment là, vous pouvez commencer à douter de mon intelligence). Lorsque Iris se rend sur la petite crique au bord du lac et tue l’homme russe qui l’agressait sexuellement, celle-ci se précipite à la maison, couverte de sang, pour rejoindre Josh. En plein milieu de son discours décousu et paniqué, Josh répète la commande “Iris, dort”.

Ne pas se fier aux apparences
C’est à ce moment-là que j’ai arrêté de douter de la nature robotique de Iris ! Le film a ensuite eu l’intelligence de raconter son histoire par l’intermédiaire de Josh qui lui fait toute la genèse à son réveil. C’est une manière efficace de nous mettre en contexte sans briser le 4éme mur. Ce qui est intéressant, c’est qu’en expliquant à Iris sa vraie nature, Josh nous en apprend également sur lui. C’est un homme seul, sans emploi et célibataire, qui loue un robot humanoide chez la compagnie Empathix en guise de copine. L’aspect froid et technique de la configuration (choix du nom, de la voix et celui du souvenir de leur rencontre, la configuration de ses émotions, de son intelligence) ne l’a pas freiné dans son désir.
Cette “révélation” nous fait relire l’intégralité des scènes précédentes, les malaises ressentis étaient donc bels et biens liés au double sens des informations données. Néanmoins, on ne s’arrête pas en si bon chemin car il s’ensuit très rapidement le deuxième retournement de situation : Josh et ses amis avaient préparé le coup : leur plan était de pousser Iris à tuer Serguei pour qu’ils puissent s’emparer de ses richesses tout en l’accusant du meurtre.
Mais les choses ne se passent pas comme prévues, un moment d’inattention permet à Iris de s’échapper avec le téléphone de Josh qui contrôle les stats de Iris. Josh apprend à ses amis que pour permettre de tuer Sergey, il a donné à Iris la capacité de se défendre, et a également régler son agressivité au plus haut niveau pour ne lui laisser aucun autre choix que celui de tuer son agresseur. Ils se retrouvent donc face à un robot en colère qui leur a glissé entre les doigts et plus dangereux que jamais : balle au centre. Encore une fois, les nœuds du scénario sont résistants car le fait de renverser le rapport de force, plusieurs fois pendant le film, nous préserve de toute lassitude et empêche de prédire l’issue finale.
3éme plot twist : lorsque Josh, Kat, Eli et Patrick ébauchent leur plan d’attaque et commencent à s’emparer de l’argent, une question se pose : il faut diviser l’argent en 4… ou en 3 ? Encore un élément que je n’avais pas vu venir alors que c’était évident : Patrick est un robot de Empathix également ! Tout comme Iris, il a été programmé par Eli pour être son amant. Pendant ce temps, Iris trouve refuge dans la forêt, prend le temps d’augmenter toutes ses capacités et rit jaune lorsqu’elle découvre que Josh avait régler son intelligence à 40%. De nombreux détails subtiles et amusants dans ce genre sont disséminés dans le film pour montrer la “small dick energy” de Josh. Iris est donc au maximum de ses capacités pour contrecarrer les plans de son “prince charmant” et s’émanciper de sa condition de robot femme soumise.

L’émancipation d’un robot, ou d'une femme?
Je me permets ce long rappel de l’histoire et de ses retournements de situation car ils me permettent d’aborder les thématiques du film. A commencer par l’aspect SF et son usage. L’introduction d’un robot anthropomorphe dans un rapport humain (sexuel et sentimental) donne au un film une dimension expérimentale : Comment interagir avec eux, comme avec des humains ou comme avec des machines ?
Je vais tenter une take risquée, mais y a t-il un problème moral à utiliser un robot, quitte à sacrifier l’intégrité dudit robot, pour son enrichissement personnel ? La question est volontairement provocatrice, d’autant plus que Josh utilise Iris, puis Patrick, pour tuer d’autres humains, ce qui pose incontestablement un problème éthique ! On pourrait également souligner que Iris est utilisée comme substitut à un être humain, Josh l’a louée car il se sentait seul, inassouvi et abandonné par ce monde qui ne reconnaît pas son potentiel (Bébou !). La façon dont il traite Iris nous permet de comprendre pourquoi il est si seul. On ressent donc de l’empathie pour elle, elle ne représente plus un robot à nos yeux, mais une femme amoureuse d’un pervers narcissique qui a une emprise sur elle, comme de millions d’autres.
Mais prenons un autre exemple beaucoup moins évident à mon sens : A.I. Intelligence Artificielle, de Spielberg. Pour rappel, on est dans un futur proche où une femme décide d’adopter un enfant robot à la pointe de la technologie, capable de reproduire à la perfection les émotions et des souvenirs, en substitution de son propre fils cryogénisé à cause d’une maladie. Si la découverte de son nouvel enfant se passe très bien au début, de petits détails dans l’attitude de l’androïde, qui lui deviendront très vite insupportables, lui rappellent que cet enfant n’est pas son fils. Elle et son mari décide de s’en débarrasser, le gamin passera le reste du film à parcourir le monde entier, jusqu’au fin fond de l’océan pour retrouver sa mère. Alors, c’est très émouvant, je pense qu’on a tous versé une petite larme tellement l’enfant est attendrissant et ce monde est injuste envers lui. Mais à ce niveau d’acharnement pour retrouver l’amour d’une mère, est-ce la un enfant qui a peur de l’abandon ou juste un robot qui exécute son programme ?

La question de l’empathie face à un robot se pose et la réponse n’est pas toujours évidente. Même lorsque le robot n’a pas l’apparence d’un humain, nous restons des êtres empathiques qui communiquent comme si le robot l’était lui aussi, je prends comme exemple l’IA générative, et notre coûteuse habitude de lui demander s’il te plaît, merci, etc.
Pour en revenir à nos moutons (électriques !), un autre élément rend Iris particulièrement humaine à nos yeux, le robot est interprété par Sophie Thatcher ! J’ai été vraiment bluffé par son jeu d’actrice, ces expressions de malaise, d’incompréhension, de peur et de révolte, comment ne peut avoir de l’empathie pour son personnage ?!
L’empathie que l’on peut recevoir pour Iris est capitale (Ce n’est pas un hasard si la société qui loue des robots s’appelle Empathix), car le film semble nous interroger sur ce qui fait de nous des êtres humains. Alors qu’on souffre en même temps que Iris, Josh lui ne ressent aucune empathie envers sa compagne, quand bien même il aurait eu de nombreuses discussions et des rapports intimes avec elle. L’investissement qu’il est prêt à fournir dans sa relation s’arrête après l’assouvissement de ses besoins physiques.
Azimov nous avait déjà enseigné que les robots peuvent être plus humains que les humains. On regrettera tout de même, pour la cohérence, cette facilité que Josh acquiert de plus en plus à tuer les personnes qui se mettent en travers de son chemin. Le problème ne se pose plus sur la façon dont il traite son robot, puisqu’il finit par devenir un véritable psychopathe sans nuance, ce qui à mon sens réduit la portée philosophique du film.
Un autre chef d’œuvre de la SF sur la même thématique apporte un raisonnement quasiment opposé : Her, de Spike Jonze. Se languissant dans sa solitude, Joaquin Phoenix entame une relation amoureuse avec la voix d’une IA, lorsqu’il réalise que l’IA a le même type de relation avec des milliers d’autres personnes, il se sent plus seul qu’il ne l’a jamais été. Ici, l’usage dévoyé de l’IA lui est revenu comme un boomerang en pleine figure. Même constat du côté de Ex Machina, de Alex Garland, ces films nous interrogent sur la dangerosité des robots, où du moins de l’usage qu’on en fait, lorsqu’on devient trop empathique envers eux.
La relation amoureuse rêvée pour un incel

L’autre thématique abordée et que je souhaite développer est celle des relations amoureuses, celles qui puent un peu, sinon ce n’est pas drôle ! Josh est l’archétype du incel, c’est-à-dire un involontary celibate, une communauté d’homme masculiniste et misogyne qui estime que le sexe leur est dû et qu’il est injuste de leur refuser cela, tout en faisant une large promotion des violences faites aux femmes. Si le sujet vous intéresse, je vous partager un article scientifique en anglais, qui décrit notamment, à l’aide d’une enquête et d’une illustration graphique, la grande importance que les incels attribuent au physique et à l’attraction sexuelle des femmes, ainsi que leur désintérêt pour leur l’intelligence, leur moral et leur gentillesse.
Je pense avoir suffisamment évoqué les traits de personnalité de Josh pour que vous puissiez comprendre à quel point il correspond à cette description. Mais pour aller plus loin voyons quelles sont les caractéristiques de la femme qu’il désire, la femme parfaite selon ses goûts, et qu’il a pu louer chez Empathix :
– Un physique et un look 50’s qui nous rappelle celui de la tradwife. Je vous partage ici la définition que nous donne wikipédia : “tradwife est un mouvement prônant le retour d’un rôle de la femme mariée comme femme au foyer, dédiée à son mariage, sa famille et ses enfants, selon une approche traditionnelle.”
– Une femme qui le valorise socialement : se montrer en couple, pouvoir raconter le storytelling d’une rencontre idéale.
– Une intelligence limitée, en tout cas, qui ne dépasse pas la sienne.
– Une femme qui ne peut pas cacher quoi que ce soit (Iris ne peut littéralement pas mentir). Une femme objet qu’il peut contrôle à sa guise, qu’il peut endormir par une simple commande après avoir assouvi ses besoins avec son corps à elle.
– Un amour inconditionnel : on voit pendant tout le film la contradiction qui opère chez Iris, le besoin non plus uniquement de s’émanciper, mais surtout de sauver sa peau, face à son homme qui n’hésite pas à la sacrifier et la trahir, mais elle se sent incapable de lui faire du mal, car elle n’a pas été programmé comme celà. Lorsqu’elle subit un reboot après avoir été “tuée” par Josh, la question de lui faire du mal est beaucoup moins tabou, et heureusement ! Cependant, je note qu’il ne s’agit pas d’un acte de vengeance, mais de survie.
En résumé, Josh était à la recherche d’une femme soumise et entièrement dévouée à lui, dans une relation à sens unique. Et ce qui est étonnant, c’est que si on regarde la relation de Eli avec son robot Patrick, on constate que ce n’est pas la même chose…Mais presque. Eli est légèrement plus empathique que Josh. Néanmoins, on est pas sur la relation la plus saine du monde. Il a choisi un robot avec un physique parfait, grand et imposant, qui ne rime pas harmonieusement avec le sien, comme un caprice d’enfant qui voudrait le bonbon le plus sucré. Patrick est au courant de sa condition de robot, et qu’il a été programmé pour être amoureux d’Eli, ce qui semble lui convenir, comme il nous l’apprend dans un dialogue beaucoup trop lyrique avec Eli, qui fond en larme d’amour. Derrière ce romantisme en carton, se cache surtout le manque de maturité d’Eli, près à se mentir à lui-même, en prenant pour argent comptant la parole d’un robot qui ne fait que faire ce dont il a été programmé pour. L’acteur qui interprète Patrick, Lukas Gage, est impressionnant dans cette faculté qu’il a de forcer les sourires trop optimistes et le regard embué d’amour envers son (ses) compagnons.
Il n’y a que des robots pour jouer l’amoureux-se transi avec deux “losers” comme Josh et Eli. En outre, derrière ces relations totalement idéalisées selon leurs critères se manifeste l’absence de réelle connexion, qu’elle soit intellectuelle, culturelle, émotionnelle ou même humoristique. Les robots ne sont là que pour leur physique et pour renvoyer à ces hommes une image flatteuse de ce que pourrait être, selon eux, une relation amoureuse.
Pour ces deux couples, même la rencontre est idéalisée et correspond à des schémas stéréotypés qui écartent toujours plus l’authenticité : Josh et Iris dans un supermarché au rayon des mandarines, Eli et Patrick lors d’une soirée costumée. Handock démontre l’hypocrisie de ces stéréotypes en jouant avec son scénario : à la mort de Eli, Josh prend sa place dans l’imaginaire romantique de Patrick en reprogrammant sa rencontre amoureuse. La scène de la rencontre à la soirée costumée est rejouée, derrière le costume de dinosaure ne se cache plus Eli mais Josh, auquel Patrick répondra par le même sourire niais et amoureux.

Lors de la scène de fin, avec le retour de Iris à la maison, sous le contrôle de Josh et de Patrick, Josh balance une réplique qui m’a fumé de rire : “C’est pas facile pour les hommes comme moi”. Cela m’a rappelé le discours très contesté de Harry Style, lors des Grammy award 2023 où il avait dit “ce n’est pas facile pour les gens comme moi”, s’inventant un lore et une appartenance à une minorité quelconque, tout en ayant toutes les caractéristiques des dominants.
Harry Style n’est pas un incel bien sur, je me fait pas de soucis sur sa capacité à ne pas rester célibataire, mais c’est intéressant de constater ce discours de victimisation chez de nombreux hommes, à un point où cela en devient souvent absurde.
Quoi qu’il en soit, lors de cette confrontation finale Iris lui rétorque une tirade qui m’a marqué. Comme un miroir tendu vers Josh, elle lui dresse son portrait de façon objective avec des faits peu ragoûtants qu’il ne peut pas nier. Nous sommes ici sur une petite vengeance personnelle, Iris a abandonné l’idée que Josh pourrait un jour entamer une remise en question :
Iris: « You’re right. I do know you. I know everything about you. I know you take almond milk in your coffee. I know you like your bedsheets untucked. I know your favorite hobbies are bar trivia, video games, and prattling on endlessly about everything the universe owes you. I know that you always need to be in control. I know that you have a below average sized penis. And I know that you think that having a few million dollars will disguise the fact that you are just a sad, bitter, weak human being. »
Jusqu’au bout Josh aura démontrer sa lâcheté et sa bêtise, pour se venger de la vérité au goût de cendres que Iris lui a mis dans la bouche, il réduit son intelligence à 0, la condamne au silence, puis à la torture avec une bougie allumée, et enfin à la mort, en l’obligeant à se tirer une balle dans la tête, non sans prendre un malin plaisir devant sa souffrance. Sa bêtise nous apparaît également lorsque les deux employés de Empathix apprennent à Josh que les données enregistrées ne se situent pas dans le cerveau mais dans le corps, et qu’ils n’auront aucun mal à les retrouver (Pendant le film, je me disais qu’à coup sûr les compagnies comme Emphathix ont des assurances et des clauses spécifiques pour ce genre de situation !).
Situation de crise pour Josh qui voit les dollars s’éloigner et la prison lui faire coucou au loin, il envoie Patrick pour tuer les deux employés (hum, la bonne idée), l’un d’entre eux parvient à fuir et à faire revenir Iris à la vie, celle-ci reprend le contrôle de la situation.
Sa punchline juste avant de tuer Josh est un banger :”c’est pas toi, c’est moi”, réponse parfaite à un incel psychopathe qui refuse de comprendre, pour le renforcer ironiquement dans sa détestation des femmes.
J’aime bien la proposition de terminer le film sur Iris, reprogrammée par le SAV de Empathix pour qu’elle soit entièrement autonome. Elle s’enfuit avec la décapotable de Sergueï, façon Telma et Louise, avec sa main brûlée qui choque les automobilistes qu’elle croise, et qui témoigne des violences qu’elle a subi.

Pour conclure
Le film questionne, c’est le moins qu’on puisse dire. En mettant en scène des incels et des robots sexuels qui aurait pû éventuellement être une solution à leur problème, on y voit que le problème de fond reste inchangé : si la frustration sexuelle est en quelque sorte “apaisé”, cela ne remédie en rien à leur haine, leur l’isolement social volontaire et leur désir de domination. Les partenaires androïdes, parfaitement objectifiés, les rendent au contraire encore plus dangereux, et écartent tout travail de fond sur la remise en question de soi.
Mais de manière plus large, le film pose cette question : un robot peut-il remplacer un être humain dans un rapport amoureux ? La question est d’autant plus pertinente que les robots sexuels… C’est pour demain, comme vous pourrez le lire ici. Si la thématique vous intéresse, je vous recommande également le roman Klara et le soleil, de Kazuo Ishiguro, qui se lit rapidement, et qui nous parle d’une enfant robot destinée à devenir la meilleure amie d’une autre enfant humaine et un peu spéciale. Au fil et à mesure qu’elle joue son rôle, elle se demande si la mère de la petite ne l’a pas acheté pour une autre raison.
Bref, les robots n’ont pas fini de nous questionner !