L'Antre de la folie

★★★½☆

JOKER : FOLIE À DEUX
-
TODD PHILIPPS

RÉSUMÉ :

Arthur Fleck, alors interné dans l’asile d’Arkham, attend d’être jugé pour les crimes qu’il a commis sous les traits de Joker. Déchiré entre ses deux identités, Arthur ne trouve pas seulement le grand amour, mais aussi la mélodie qui a toujours sommeillé en lui.

INFOS TECHNIQUES

Date de sortie: 01 octobre 2024
Mettant en vedette: Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Brendan Gleeson
Réalisation: Todd Phillips
Genre: Drame, Crime, Thriller
Durée: 138 min
Titre originale du film: Joker: Folie à Deux
Langue originale du film: English (en)

PRODUCTION

Pays de production: United States of America
Sociétés de production: Warner Bros. Pictures, Joint Effort, Domain Entertainment

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Par Kevin Kozh n’air

27 juin 2025

Note globale : 3,5/5

Tentative de réhabilitation

Il y a tellement de sujets, de livres et de films dont j’ai envie de vous parler que toutes les semaines c’est l’enfer d’en choisir un. Cette semaine sera un peu spéciale, car ce n’est pas une critique à proprement parler, mais une tentative de réhabilitation, pour un film que je n’avais pas pourtant pas prévu d’évoquer, Joker : Folie à deux.

 

Attention loin de moi l’idée de faire mon Durendal et de vous expliquer pourquoi vous êtes des brebis galeuses trop stupides pour comprendre l’étendue du génie de Todd Phillips (Je crois qu’à ce jour, sa vidéo sur le premier Joker est probablement la critique ciné ayant le plus de mauvaise foi que je n’ai jamais vu sur youtube, je vous la partage ici pour que vous puissiez vous faire votre avis). Le film est moins maîtrisé que le premier, il y a moins de  fulgurances et plus de longueurs, ses idées peuvent parfois manquer de profondeur et je peux comprendre qu’il fût une déception pour de nombreux spectateurs.

 

De mon côté, j’avais de grosses craintes bien que les trailers m’avaient un peu rassuré. Je me demandais s’ il y avait vraiment quelque chose à raconter en plus, et la réponse semblait être non lorsque Todd Philipps affirmait qu’une suite n’était initialement pas prévue. Trois ans plus tard, Joker : Folie à deux semblait naître dans un gigantesque forcing de Warner Bros qui, vu le succès phénoménal du 1er, semblait ne pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. La pression des fans a également dû jouer dans la création de ce projet. Je vais enfoncer une porte ouverte, mais pense qu’on devrait apprendre à gérer nos frustrations et accepter quand une fiction se termine, si on veut pas se retrouver avec cette créature de Frankenstein qu’est devenue la licence Star Wars, par exemple. Ce qui est dommage c’est que là où le premier film est devenu cultissime, culturellement voire même politiquement, le second semble avoir laissé un goût amer chez beaucoup de gens et c’est probablement ce goût qui restera dans leur bouche en repensant à Arthur Fleck.

Lady Gaga en Harley Quinn et Joaquin Phoenix en Joker sur une scène, dans un halo de lumière avec, un garde fou dans l'ombre du premier plan laisse pensé qu'il sont dans un genre de tribunal ayant des airs de théâtre music hall.
Joaquin Phoenix et Lady Gaga, dans Joker : Folie à deux.

When you get what you f***ing deserve ?

Quoi qu’il en soit, j’ai vu le film au cinéma, comme beaucoup de gens j’ai constaté des lacunes qu’il n’y avait pas dans le premier, en revanche, chose inattendue, j’ai aussi eu de bonnes surprises. Effectivement, Todd Phillips et Joaquin Phoenix avaient bel et bien des choses intéressantes à ajouter à leur clown. Ne serait-ce que dans l’intérêt d’aller plus loin dans la psychologie de Arthur Fleck, et comprendre, au travers son procès (pour rappel, suite à une série de meurtres), quels sont les mécanismes qui aurait pu être à l’origine de sa maladie mentale et répondre à cette question : Est-il responsable de ses actes ou est-ce la responsabilité des services sociaux (la “société” de manière plus large) qui n’ont pas su prendre en charge un homme ayant des troubles mentaux sévères. Anatomie d’un sociopathe pour une durée de presque 3h, voyons voir ce qu’il en est !

 

Bien que j’en ai peu vu, j’aime beaucoup les films de procès. Celui la m’évoque un peu La Vérité d’Henri-Georges Clouzot. La vie intime de Dominique Marceau, incarnée par Brigitte Bardot, y est littéralement éventrée aux yeux de tous pour tenter de comprendre comment cette jeune femme a pu en arriver à tuer son amant.

Préjugés sur une jeunesse prétendument dépravée et en perdition, reproches sur le manque d’intégration de Dominique, exposition crue de ses mœurs libres devant un public et un jury à la fois moralisateurs et friands du moindre détail, autant de jugements qui petit à petit laissent entrevoir l’étouffement de cette société à l’égard des individus, notamment celui des femmes, le jugement sévère de la moindre non conformité, alors que cette conformité est aliénante à souhait.

 

C’est un des aspects que j’ai bien aimé dans Joker : Folie à deux, on y voit à la fois comment Arthur est perçu comme un meurtrier au sang froid, une curiosité psychiatrique et en même temps une bête de foire ultra médiatisée, devenu involontairement un symbole de lutte contre les inégalités sociales. Il est condamné à mort pour ses crimes et encouragé en permanence à divertir par sa bizarrerie (l’interview TV dans l’asile d’Arkham, le procès rendu public, etc), à jouer ce rôle de clown étrange et inquiétant. Ce voyeurisme révèle tout le cynisme des habitants de Gotham.

 

Le film apporte un regard nuancé, on est pas ici sur une satire sociale ordinaire où une classe prolétaire prend subitement conscience (grâce au Joker) de sa condition et se rebelle contre une classe dominante. Car si effectivement les dominants sont représentés par des institutions (prison, forces policières et juridique, tribunal) puissantes, sévères et prompts à condamner un homme dangereux à mort, les “révolutionnaires”, notamment représentés par le personnage Harley Lee Quinzel (Lady Gaga dans les comédies musicales, c’est définitivement un oui !), ne sont pas des alliés pour autant. 

Lady Gagag en Harley Quinn regarde passionnément Joaquin Phoenix en Joker, lui prenant le visage, dans un plan serré.
Joaquin Phoenix et Lady Gaga, dans Joker : Folie à deux.

Je reconnais que je m’y attendais pas, on a tellement été habitué à ce leitmotiv où Harley Quinn se fait dominer, manipuler et envouter par le Joker que j’ai été pris au dépourvu. Et ce dès leur rencontre, où Lee est une véritable apparition divine aux yeux de Arthur. Je me suis délecté à voir au fil de l’évolution de leur relation que leur amour fou et inespéré prenait peu à peu des allures beaucoup plus sombres, où Arthur demeure l’objet d’adoration de Lee uniquement dans la limite où il joue son rôle de Joker. Voyant le précipice dans lequel il se plonge en continuant de jouer au clown, il commence à se poser des questions, et aussi à avoir un début de remord face à ses crimes, ce qui a le don d’exaspérer Harley.

La vraie chute finale du film pour moi (je reviendrais sur LA chute, ne vous inquiétez pas 😉), c’est la séquence où Arthur retrouve sa muse à la fin, après s’être échappé de son procès. Il la retrouve sur cet escalier du premier opus, qu’il descendait en dansant, symbole de sa métamorphose en clown tueur. Cette fois-ci il le remonte, la mise en miroir suggère qu’il sort de cette schizophrénie. Il s’imagine une vie à la Bonnie and Clyde avec sa belle, une vie de fuite et d’amour, mais sa promise se détourne cruellement de lui. Il a renoncé à être le Joker, il ne l’intéresse plus. Ce n’est pas la proposition la plus originale de tous les temps, mais c’est un chouia plus subtil et moins stéréotypé que la relation entre Harley Quinn et Joker dans cette abomination qu’est Suicid Squad.

Quand la vérité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire
(En attendant Bojangles, Olivier Bourdeau)

J’en arrive à un autre point qui m’a particulièrement touché, ce sont toutes ses scènes où Arthur imagine leur romance déjantée, haute en couleur et sublimée comme dans un cabaret fou. J’ai mieux saisi l’intérêt de la comédie musicale à travers ces séquences. Il y avait déjà des scènes hallucinées dans le premier film, dès scènes où il s’imagine une vie idéalisée (une histoire amoureuse, la reconnaissance de Bill Murray, l’amour du public) et d’autres scènes de transe cathartique par des pas de danse. Cette suite nous propose d’aller plus en profondeur dans l’imaginaire de Fleck, je trouve que la photographie et la mise en scène, qui font encore une fois penser à Scorsese, ou à Coppola (notamment son film Coup de cœur) fonctionnent à merveille avec ces studios kitchs et enfumés et les lumières de spectacles. Dans la chanson “The Joker is me” (une de mes préférés), c’était appréciable de voir ce Joker tout replié sur lui même dans le noir sur scène, qui se relève lentement, les lumières s’allument (rouges !) puis il massacre l’avocat de la partie civile à coup de chaise, le juge avec son propre maillet, des cris de peur se mélangent à des rires obscures, on est toujours dans la folle imagination de Arthur. Harley Quinn lui tend un pistolet, non sans l’avoir braqué sous la mâchoire pour s’amuser, qu’il saisit et pour tirer au hasard dans la foule. Même si on est dans une bulle imaginée par Arthur, on y voit déjà toute l’ambiguïté de Harley Quinn, et la façon dont elle joue avec/de lui.

On a pu reprocher au film des réfs faciles, comme celui des Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, j’ai eu le sentiment, qu’au contraire, les couleurs très pop des parapluies dans ce Gotham sombre et pluvieux, cruellement réel, annoncent justement la couleur (vous l’avez ? 😉 ) des évasions féériques et musicales imaginées par Arthur.

Le procès d’un homme, et d’un monde

Un dernier très bon point pour le film : les scènes du procès. Comme évoqué plus haut, j’ai particulièrement été sensible à aux tentatives houleuses et surmédiatisées de comprendre la psychologie complexe de Arthur. Sa vie intime y est déballée sans vergogne, et on y apprend notamment qu’il a été violé par sa mère. Et j’ai trouvé cela surprenant, car au delà du côté très crédible vu l’environnement social où Arthur a été élevé, on ne voit jamais la thématique du viol dans l’univers des super héros. Dans ces mondes, les méchants sont des super vilains, des bandits, parfois des monstres, mais rarement une maman. Le film fait un pas de plus vers le cinéma d’auteur et réaliste, on valide ! 

Le QI très faible de Fleck est également évoqué, ce qui est encore une fois est très crédible et touchant, et cela casse totalement avec ce joker prince du crime, souvent idéalisé dans les autres adaptations des DC Comics. On voit plusieurs scènes où il ne comprend absolument pas ce qui se passe autour de lui, par exemple lorsqu’il arrive au procès et qu’impressionné par le juge il l’appelle “Sa Majesté”, ou encore lorsqu’il joue son propre avocat, dont il imite la profession de façon caricaturale et ridicule, n’ayant aucune idée de ce qu’il faut faire. Ces séquences sont légèrement étirées, je suis convaincu qu’il en est ainsi volontairement pour étendre le côté “cringe” de Arthur qui tente de se défendre tout seul. On le voit par ailleurs, totalement impuissant, coincé entre des forces dont il ne comprend rien, entre la foule qui l’acclame, en premier rang Harley Quinn, et l’austérité des représentants de la justice.

Sa schizophrénie est elle aussi nommée. Nous l’avions déjà observé lors du premier film, mais Arthur utilise sa personnalité du Joker pour se protéger des violences dans un monde asphyxiant,  toxique et violent (“Its just me or things Is it just me, or is it getting crazier out there ?”). Mais comme j’ai pu en parler plus haut, son alter ne le protège pas vraiment, il y a un vrai décalage entre le regard qu’il porte sur lui et celui des autres, certains le voient en bouffon ridicule et gênant, d’autre le voit comme un révolutionnaire, ce qu’il ne semble conscientiser à aucun moment.

Un homme inquiet, témoigne à la barre, lors d'un procès.
Leigh Gill, dans Joker : Folie à deux.

Le procès touche à son paroxysme lorsque Mr Puddle, atteint de nanisme et tellement bien interprété par Leigh Gill, est invité à venir témoigner à la barre comme témoin de meurtre. Il y a quelque chose de magique dans cette séquence, car on y voit le parfait contraste entre le Joker qui campe son personnage d’avocat de la défense délirant, et Mr Pulldle qui évoque son traumatisme, qui tente de faire à comprendre à son ancien ami que depuis qu’il a assassiné leur collègue sous ses yeux il est détruit psychologiquement, il ne parvient plus à dormir et qu’il vit dans la peur et le dégoût de lui -même (“I felt so small, reminded how powerless i really am”). Le rôle d’Arthur commence à se fissurer lorsque Mr Puddle lui parle de sa déception car Arthur représentait à ses yeux une safe zone, il était la seule personne à s’être jamais moqué de sa petite taille. Le moment où Arthur lui dit qu’il ne le connaissait pas car il n’était personne et qu’aujourd’hui le monde entier le regarde créer une inversion de la cruauté, lui qui était attendrissant devient alors antipathique.

On aura également le témoignage de la femme chez qui il s’était introduit, après s’être imaginé une romance qui n’avait jamais eu lieu. J’ai beaucoup aimé l’idée de faire revenir les anciens témoins pour faire réfléchir Arthur sur ce qu’il a fait. On fait un second pas de plus vers le réalisme et un cinéma psychologique, où la mort et le meurtre ne sont pas banalisés comme dans les films de super-héros.

"There is no joker"

Le procès se termine sur une tirade Arthur en plan serré et mis en à abîme car son procès est diffusé dans le monde entier, où il reconnaît enfin la responsabilité de ses actes. Il confesse même le meurtre de sa mère et termine en disant que Joker n’existe pas, il n’y a que lui, Arthur Fleck. Le moment où il fait “knock knock, who is there ?” était un peu bouleversant. On est trop passé à côté de la prestation  incroyable de Joaquin Phoenix, pourtant reconnue et idolâtrée dans le premier volet. Il a su donner tous les espoirs et les effondrements de son personnage avec une grande justesse. Ce procès m’a beaucoup plus car les questionnements apportent des réponses nuancées et laissent une grande place à la réflexion du spectateur. L’intention réelle était de comprendre si  la responsabilité d’Arthur est entière ou effacée par sa maladie mentale.

Néanmoins, dans le sous-texte, on y voit aussi le procès de cette société de Gotham, beaucoup trop proche de la nôtre, qui pousse les gens à l’individualité, à la cruauté ordinaire des uns envers les autres, et faisant apparaître des contextes sociaux si durs qu’ils finissent par générer de la folie. Arthur fleck est un être sensible, qui a des envies, des rêves, il aime la danse et la musique. En exposant la tragédie qu’est sa vie (qu’il qualifie ironiquement de comédie), il tend un miroir à la société pour lui renvoyer le reflet horrible de ce qu’elle est.

Joaquin Pheonix en joker marchant vers la caméra dans u nuage de poussière jaune, un autre joker le regarde par derrière.
Joaquin Phoenix dans Joker : Folie à deux.

Et que fait-on lorsqu’on quand on a posé une masterclass de photographie, d’acting et d’écriture, et qui en plus nous interroge sur notre propre nature ?  Et bien on fait tout pété avec une bombe et on tue le personnage qu’on s’est emmerdé à développer depuis 2h30 ! Quelle bonne idée…

Le film aurait dû s’arrêter au dernier “knock knock” de Fleck. Je vois pas bien l’intérêt de développer en profondeur la psychologie d’un personnage complexe si c’est pour le tuer de manière aussi abrupte à la fin par Jean-Michel Random. Sa mort, loin d’apporter de l’empathie à ce personnage et nous tirer la larme à l’œil, gâche tout le travail qui a été fait depuis la première minute du premier film.

Bon, Jean-Michel n’était pas si random que ça, on avait quand même eu 2 zooms de 2 secondes sur lui pour nous faire comprendre qu’il allait se tramer quelque chose de louche… Lorsqu’il on le voit en arrière plan se faire le sourire de l’ange au couteau, on peut s’imaginer que c’est pour raccrocher les wagons avec l’univers des comics, qu’il va être le “vrai” joker, ennemi juré de Bruce Wayne (par ailleurs, il est vrai que l’identité du Joker dans les comics est plurielle). Mais pourquoi, pourquoi se donner tant de mal à sortir de l’univers des super-héros, à faire un thriller psychologique, si c’est pour y revenir en TGV dans le dernier quart d’heure ?

Je voulais réhabiliter ce film car derrière cette fin regrettable, derrière l’éléphant dans pièce, il y a quand même de nombreuses qualités plus discrètes, et je me devais de faire l’avocat de la défense à l’inique procès qu’on en a fait. J’espère vous avoir donner envie de revoir le film (malgré sa longueur) pour y déceler ces petites pépites !

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