L'Antre de la folie

★★★★★

LES MAUDITES
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PEDRO MARTIN CALERO

RÉSUMÉ :

Quelque chose hante Andrea, mais personne, pas même elle, ne peut le voir à l’œil nu. Il y a vingt ans, à dix mille kilomètres de là, la même présence terrorisait Marie. Camila était la seule à pouvoir comprendre ce qui lui arrivait, mais personne ne les croyait. Face à cette menace oppressante, toutes trois entendent le même son écrasant : un cri.

INFOS TECHNIQUES

Date de sortie: 25 octobre 2024
Mettant en vedette: Ester Expósito, Mathilde Ollivier, Malena Villa
Réalisation: Pedro Martín Calero
Genre: Horreur
Durée: 107 min
Titre originale du film: El llanto
Langue originale du film: Español (es)

PRODUCTION

Pays de production: Argentina, France, Spain
Sociétés de production: Tandem Films, Setembro Cine, Caballo Films, Tarea Fina, Noodles Production, El Llanto

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Affiche du film les maudites, on y voit 3 visage de film qui se succédèrent horizontalement, et un 4éme qui est celui d'un vieillard.

Par Kevin Kozh n’air

05 juin 2025

Note globale : 5/5

Comment faire confiance aux films d'épouvante ?

Qu’est ce qui vous donne envie lorsque vous choisissez un film ? On est tellement submergés de bouses horrifiques que la question se pose, qu’est ce qui peut vous convaincre que ce film-là sera différent ? Je m’interroge là dessus car j’ai pu constater que mon visionnage de film d’horreur fonctionne à l’inverse de mon visionnage de film d’auteur, ou d’un autre genre. Habituellement j’accorde toujours un degré maximum de confiance au réal, et petit à petit il/elle perd des points, où les conserve si le film est bon (c’est encore pire depuis que je suis sur Letterboxd…). En revanche, pour les films d’horreur, j’ai vu tellement de navets, ou de films totalement oubliables que c’est devenu mon postulat de départ, et petit à petit je me laisse porter. Vous pensez que je suis aigri ? Et bien, j’espère que non ! Je pense simplement que les films de la peur demandent beaucoup, beaucoup de précision, et je peux comprendre pourquoi nombre d’entre eux ne fonctionnent pas. Lorsque je commence à me dire“hey, c’était pas mal ça”, le film peut très vite remonter dans mon estime, car c’est déjà un petit miracle en soi.

 

Pour le film Les maudites, premier long-métrage du réalisateur argentin Pedro Martin Calero, après son hypnotisant et étrange court métrage You are Wake (disponible sur youtube ici) et plusieurs clips, j’ai été catché par le combo de l’affiche + le titre. Je n’avais aucune info sur le film, je ne savais même pas qu’il avait eu le prix de la critique au festival de Géradmer. Juste cette affiche simple et efficace, une superposition de visage à l’horizontal sur un fond noir, et ce titre qui m’a fait penser à La Tresse de Laetitia Colombani, en version film d’horreur. Toujours pas déçu après en lisant le synopsis, alors j’ai fait le grand saut.

 

Se déroulant à deux époques différentes en Argentine et Madrid, nous suivons l’histoire de trois jeunes femmes qui semblent poursuivies par une entité malveillante. Psychose, hallucination, ou réelle menace ? Les trois femmes ignorent qu’elles ont une expérience en commun : elles ont entendu des pleurs de femmes, en passant près d’un immeuble étrange. Avant d’entrer dans la partie spoiler, je dois vous parler d’une chose qui ne s’était pas produite depuis longtemps au cinéma, et cela précisément car j’ai petit à petit baissé ma garde : j’ai eu peur. Et je ne parle pas de jumpscares qui m’ont fait sursauter, j’ai vraiment flipper ma race tout ce qu’il y a de plus 1er degré. À partir d’ici, SPOILER IS COMING !

Dans la lignée de It Follows…

© Les maudites - Pedro Martin Calero

Dès la scène d’ouverture, Martin Calero installe son dispositif horrifique d’une grande justesse : au cœur d’une fête, ce qui ressemble d’abord à une danse sensuelle, en tout cas dans le regard d’un homme, se déforme peu à peu en gestes saccadés, douloureux, jusqu’à ce que le corps de la jeune femme se révèle en fait malmené par une présence invisible. On ne la voit jamais, mais son emprise est là, tangible, brutale.
Le jeune homme et ses amies paniquent, une présence est en train de tuer leur amie mais elle n’est pas visible. Difficile de ne pas penser à It Follows.

 

Je prends le temps de vous décrire cette séquence car elle résume bien ce qui m’a plus dans ce film : réutiliser des mécaniques de peur qu’on à certes déjà vu, mais traitées ici avec toute la précision et le maintien d’une atmosphère pesante que j’attend d’un film d’horreur. Une entité qui apparaît dans une source de lumière insuffisante (briquet, allumette, flash, appareil photo, stroboscope, etc) n’est pas quelque chose de nouveau, et je suis content de constater que je peux encore être en tension avec ce procédé !

 

Un autre procédé de peur qui fonctionne à merveille, bien qu’il ait été utilisé une pelletée de fois, c’est l’entité qui n’est visible qu’à travers l’écran. Peut-être l’ancêtre de l’entité qui n’apparaît que sur les photos ? Cela dit, ce qu’on retrouve généralement dans les films d’horreur c’est une première apparition de l’élément d’épouvante via une vidéo (The Sinister, The Ring, Lake Mungo, l’ignoble Paranormal Activity, etc). Le média qui sert d’intermédiaire entre notre monde tangible est celui d’un ailleurs est utilisé comme le premier maillon de l’échelle d’intensité horrifique. Ici c’est un peu différent. L’utilisation de la vidéo semble être la seule manière de voir l’entité tout au long du film, et j’ai adoré la façon dont Martin Calero l’intègre dans sa narration.

Le Horla comme symbole des féminicides

© Les maudites - Pedro Martin Calero

La première partie du film s’ouvre sur l’histoire d’Andréa, une étudiante qui commence à percevoir l’entité lors de ses appels en visio avec son copain qui vit en Australie. Dans la seconde partie qui se déroule en 1998, on y découvre Camilia, une étudiante en cinéma qui stalke une femme avec sa caméra pour en faire un film. Donc vous l’aurez compris, entre Andrea qui vit dans notre époque hyper connectée, et Camilla qui filme tout ce qui bouge, l’entité ne va pas rester cachée bien longtemps ! Mais dis moi Jamy, pourquoi s’embêter à faire une intrigue qui court sur plusieurs décennies alors que c’est peu ou prou la même histoire ? Et bien j’y reviendrai un peu plus tard quand on essayera de comprendre la symbolique du film.

 

La première scène où on voit l’entité m’a mis tellement mal…Et pourtant encore une fois la elle est loin d’être révolutionnaire. Andrea fait un petit Reel (C’est comme ça qu’on dit les d’jeuns ? 😉) à son compagnon pour lui dire qu’elle l’aime, et en retour elle se mange un : c’est qui l’homme derrière toi ? Andrea regarde sa vidéo, elle ne voit rien, et j’avoue que même moi en faisant attention je n’ai rien vu. Son gars insiste, et au 3éme visionnage, il n’y aurait-il pas une silhouette humaine creepy qu’on voit dans la pénombre au fond ? J’adore le fait de chercher, de ne pas trouver, de tenter absolument de rationaliser l’inexplicable, puis d’être peu à peu démuni face à l’indéniable. il y avait bien un homme qui l’observait, et ce n’était pas son père.

 

Quelque chose naît en elle, une terreur sourde. Depuis quand ce type l’observe ? En regardant dans sa galerie de photo, l’inquiétude monte d’un cran, elle retrouve plusieurs fois un vieux pépé dont la morning routine nivea a été abandonnée depuis longtemps vu l’état de sa peau (et de ses croûtes!) qui l’observe au loin. Elle commence à perdre la boule, elle en parle à ses proches mais comment faire comprendre quoi que ce soit aux gens qui ne peuvent pas le voir ? Elle se réveille avec une sensation bizarre, elle sent que le vieux moisi est venu la visiter la nuit. Elle entre dans une boucle d’angoisse qui ne trouve plus de limite, en filmant constamment autour d’elle avec son téléphone pour s’assurer que le vieux n’est pas la, elle lutte contre le sommeil, refuse que ses paupières se ferment et redevenir la proie qu’elle fut les nuits précédentes. Cette séquence était par ailleurs un joli clin d’œil à A nightmare on elm street, où Nancy refuse de tomber dans le sommeil profond où Freddy viendra la chercher. L’horreur devient réelle lorsqu’elle souhaite rejoindre son copain en Australie, et que l’entité apparaît derrière lui lors de leur visio, comme si celle-ci refusait de laisser Andrea partir. Le meurtre se fait à une vitesse effroyable (une sorte de stop motion accéléré qui crée un vrai sentiment d’effroi).

 

Son histoire se termine dans une tour trop haute pour cette ville, au reliefs trop ronds, trop organiques, du Gaudi mais sans couleurs. C’est une de mes scènes préférées, parce qu’elle est très bien préparée en amont. Andréa avait déjà remarquée son étrangeté en rentrant de la fac avec son casque. Elle avait d’ailleurs été brutalement sortie de sa bulle par l’interruption de sa musique, remplacée par les pleurs d’une femme. Encore une masterclass soit dit en passant, le film est très rythmé par ses musiques, et notamment par celles qu’écoute Andréa, ainsi, lorsqu’elle s’interrompt d’un coup, nous le vivons aussi violemment qu’elle !
Persuadée qu’il y a un lien entre ce bâtiment et le vieux fantôme, elle s’y rend accompagnée de ses amies. Lorsqu’elles entrent dans l’appartement d’où viennent les pleurs… Olala, c’est insane ! La mise en scène est absolument parfaite : on les voit juste entrer dans l’obscurité de l’appartement, elles se parlent, on entend seulement leur voix. Puis tout à coup : “mais il est là, mazette mais c’est lui ! (dialogues non fidèles)” puis des hurlements, les deux copines parviennent à fuir mais Andréa se fait furieusement pousser contre le châssis de la porte.

 

Et nous voila ensuite dans la deuxième partie, avec Camilla en Argentine en 1998. Je vais peut-être moins rentrer dans le détail car les histoires sont très similaires. C’est d’ailleurs un des défauts du film, je comprends le besoin de raconter une histoire double et j’y reviendrais dessus plus tard, mais parfois cela crée des redondances et certaines longueurs. Pour réaliser son film (et aussi parce qu’elle est en crush), Camilla filme Marie à son insu plusieurs jours durant en la suivant partout. Après un premier retour négatif de son prof, elle décide d’aller plus loin et s’introduit illégalement chez elle pour la filmer dans son intimité. Elle tombe sur son camarade de promo qui avait aussi crushé sur elle, entièrement nu et contrarié dans le jardin, puis sa caméra se pose sur Marie, nue elle aussi dans son fauteuil à l’intérieur.

 

Je fais une petite digression, les deux acteurs sont en full frontal, déjà gg à eux ça ne doit pas être quelque chose de facile à faire. Mais je voulais aussi vous partager une réflexion de Monia Chokri, que j’avais vu lors d’une rencontre à Potemkine pour parler de son incroyable film Simple comme Sylvain. Elle disait quelque chose de très vrai à mon sens, c’est qu’il faut être prudent sur la nudité en full frontal à l’écran. Ce n’est pas quelque chose auquel on est souvent habitué, et donc ça peut nous sortir du film car on ne voit plus les personnages mais les acteurs, dont on ne pourra s’empêcher d’analyser comment ils sont gaulés. Parfois cela fait sens, pour montrer toute la puissance ou la fragilité d’un personnage (je pense notamment à Daemond dans House of Dragon), montrer une forme de naïveté et d’absence de filtre (Bella dans Pauvres créatures) ou mettre en scène la beauté et la diversité des corps, mais parfois c’est complètement gratos comme dans l’Amour et les forêt, où Virginie Efira est dévoilée dans un travelling brutal, à l’image du manque de subtilité du film)

L’horreur espagnole dans toute sa maîtrise

Une jeune femme filme à travers des barreaux à l'extérieur.
© Les maudites - Pedro Martin Calero

Bref, le sentiment de culpabilité de Camilla filmant son crush à poil sur son canap disparaît vite quand elle aperçoit le vieux fantôme apparaître derrière elle. Par la suite, lorsqu’elles deviennent amies, voire même petites amies, Camilla montre les vidéos à Marie, celle-ci est tétanisée. Elle n’aura pas eu beaucoup de temps pour digérer la nouvelle car pépé pourri est déjà là. La télé branché sur la caméra qui observe tout nous permet de comprendre comment Camilla se retrouve suspendue dans les airs avant de finir au sol la nuque brisée. Il s’ensuit une scène d’étreinte glaçante, entre le bourreau et sa victime paralysée de peur et qui n’a rien eu le temps de process.

Accusée du meurtre, rechercher par la police et méprisée par son père, elle aussi se réfugie dans la tour d’où viennent les femmes qui pleurent, cette tour que nous avions pourtant vu en Espagne…Elle parvient à pénétrer dans l’appartement dont nous n’avions vu jusqu’à présent vu que l’obscurité de l’entrée, et la… une scène d’épouvante absolue ! Ceux qui ont déjà vu le film savent, pour les autres, même dans cette partie spoiler je n’ai pas envie de gâcher la surprise, je dirais juste qu’on est sur la même vibes que le final de [Rec]

Alors, qu’en est-il du message du film ? Ne serions-nous pas sur une métaphore horrifique des féminicides ? C’est une interprétation qu’on peut avoir, c’est la mienne en tout cas. J’ai été particulièrement marqué par l’absence de soutien, voire même d’écoute pour nos trois protagonistes. Les parents d’Andrea minimisent sa terreur et mettent cela sur le décès de sa mère (D’ailleurs, sa mère c’est Marie je crois, dites moi en commentaire si je suis un gogol qui croit avoir trouvé l’eau chaude ou si c’était pas si évident que ça). Les parents de Camille sont absents, son pote de promo a l’air d’être un queutard et son prof est son allié tout en étant très ambigüe avec elle. Le père de Marie pense qu’elle est une folle irresponsable (“Tout le portrait de sa mère !”). Ce film l’évoque également The Invisible Man, avec Elisabeth Moss, on y retrouvait ce même sentiment de solitude de la victime, qui pense devenir folle, ne pouvant expliquer rationnellement, ni à elle ni à son entourage, la terreur qu’elle subie. Je pense que le vieux fantôme pourrait alors être une métaphore des violences faites aux femmes, comme un horreur flambeau transmis de génération en génération, d’où l’intérêt du double récit sur deux temporalités.

une femme, effrayée et blessée dans le noir.
© Les maudites - Pedro Martin Calero

Pour conclure

Contrairement à l’incompris The Woman in The Yard, j’ai l’impression, au vue des critiques, que la symbolique a été bien perçue et que le film est apprécié par le public et la presse. J’ai évoqué plusieurs scènes marquantes mais l’une des bonnes raisons d’aller voir ce film, au delà de l’épouvante réussie, est l’écriture de ses trois protagonistes : elles sont très attachantes et leur destin, qu’il s’agisse de mort ou de disparition, nous laisse en PLS à la fin. De plus, nous montrer cette tour dans un bref aperçu au premier tiers du film, puis nous y faire rentrer à la fin permet de créer une mise en tension et un suspense insoutenable.

Entre ce film, The Bone woman, L’orphelinat, [Rec], et tant d’autres, je réalise à quel point le cinéma espagnol brille à l’international par ses films d’horreur !

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