L'Antre de la folie

Je voulais vous parler d’une des figures les plus récurrentes des films d’horreur, au point d’en devenir presque l’essence même : les créatures ! Ces monstres hideux tapis dans l’ombre… Je me suis demandé pourquoi ils font peur. À quoi ils servent ? N’y a t-il pas assez d’horreur chez l’Homme, déjà ?!

LES MONSTRES DANS LE CINÉMA DE GENRE CONTEMPORAIN

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Par Kevin Kozh n’air

14 septembre 2025

Les monstres, ça n'existe pas !

Je voulais vous parler d’une des figures les plus récurrentes des films d’horreur, au point d’en devenir presque l’essence même : les créatures ! Ces monstres hideux tapis dans l’ombre… Je me suis demandé pourquoi ils font peur. À quoi ils servent ? N’y a t-il pas assez d’horreur chez l’Homme, déjà ?!

Avant de commencer cette réflexion, on peut dores et déjà faire deux affirmations de départ qui sont le dénominateur commun de toutes les créatures : elles sont peu ragoûtantes sur l’aspect physique et représentent un danger immédiat (taille, griffe, crocs, etc). Elles nous sont supérieures par leur capacités physiques et elles ne possèdent pas de barrière morale, étant plus proches d’une bête que de l’humain. Elles sont donc une menace suffisamment explicite pour faire peur aux personnages qui se retrouvent face à elles, et par mimétisme, au spectateur.

Il est intéressant de voir que les créatures sont nées quasiment en même temps que le cinéma. La littérature fantastique et romantique du XIXᵉ siècle avait déjà fourni tout un bestiaire, notamment les fantômes gothiques, les vampires décadents, les loups-garous ou des créatures artificielles comme Frankenstein et le Golem. Sur grand écran, les premières figures vraiment marquantes viennent du cinéma allemand, avec notamment Nosferatu de Murnau, adaptation non officielle du Dracula de Bram Stoker, et Le Golem de Wegener, inspiré du roman de Gustav Meyrink. Le Frankenstein de Mary Shelley a lui aussi eu droit très tôt à une adaptation, et c’est fou de constater que aujourd’hui encore ils continuent d’être réinventés, avec le Nosferatu de Robert Eggers (2024) et le Frankenstein de Guillermo Del Toro (2025) !

Mais je dois vous avouer quelque chose, ces créatures un peu grotesques et surannées ne m’ont jamais provoqué un réel sentiment de peur… Traitez-moi de mytho si vous le voulez mais même étant petit, ces monstres étaient trop éloignés de ma réalité tangible où pouvait naître de vraies angoisses pour m’émoustiller ! Pour ce qu’il me faisait vraiment peur, je me rappelle vaguement de la forme d’un visage déformé et monstrueux sur la tapisserie de ma chambre d’enfant et que je voyais prendre vie dans mes cauchemars, ainsi qu’une peur viscérale des chiens, mais cela s’inscrivait dans une angoisse nourrie par mon environnement immédiat.

Si on avance un peu dans le temps jusqu’aux années 80s-90s, on s’aperçoit que de nouvelles formes de créatures apparaissent dans un cadre plus intime. C’est le cas notamment avec Chucky (poupée maléfique) et les Gremlins (animaux de compagnie démoniaques et réplicateurs !). On peut pas vraiment pas parler de monstres avec l’arrivée des slashers, mais on note tout de même que Freddy Krueger s’invite directement dans les rêves de ses victimes ! Enfin, des créatures cosmiques comme les Aliens et les Cénobites (Hellraiser) instaurent un rapport dérangeant à la dimension intime et sexuelle. Et devinez quoi ? Toujours pas de frissons particulier de mon côté !

Je ne vais pas dresser un panorama exhaustif de toutes les créatures et de leurs évolutions, mais il est intéressant de constater qu’il s’agit d’une figure qui s’adapte sans cesse aux peurs nouvelles de chaque génération. Et j’oserais même la comparer à la mythologie antique ! Je m’explique, dans l’Antiquité, les monstres servaient avant tout à comprendre l’inexplicable comme par exemple, pourquoi la mer engloutit, pourquoi la foudre tombe, pourquoi la mort frappe, etc. Puis, au fur et à mesure que les connaissances progressaient, ces figures divines ont peu à peu perdu leur fonction explicative pour devenir des métaphores plus humaines. Mais alors quels sont les monstres du 21éme siècle, quelles en sont les différentes utilisations et que disent-ils de nous ? Pour le coup, les créatures de cette génération me parlent beaucoup plus, décortiquons ensemble ce qu’il en est !

Les monstres psychologiques

Le monstre est ici la figure centrale d’un genre horrifique que j’affectionne particulièrement et dont j’écrirai un jour un article, l’elevated horror ! Le principe ? Donner à la dimension horrifique un sens caché, allégorique, avec une ou plusieurs présences symboliques fortes. Les créatures, ou entités, ont pour but de représenter nos troubles intérieurs comme la peur, la culpabilité, la dépression, nos pulsions destructrices, etc. Dans ce sous-genre de l’horreur, l’enjeux n’est pas tant de connaître la conclusion de l’histoire que de découvrir ce que la créature représente vraiment. Ce n’est pas toujours fait de façon subtile, mais c’est une recherche de profondeur intéressante !

Babadook et The Woman In The yard

Et en ce sens, un des films qui m’a beaucoup marqué et Mr. Babadook, dans lequel Samuel,  un jeune garçon hyperactif, et Amélia, sa mère, tentent de vivre normalement alors que le papa vient de mourir. Tandis que sa relation avec son enfant vire progressivement au cauchemar, l’enfant est terrifié par une créature présente sous son lit, persuadé qu’il s’agit de Babdook, le monstre de son livre de contes illustrés. D’abord exaspérée par l’imagination débordante du petit, Amélia ressent à son tour une présence maléfique chez eux…  Nous pourrions voir ce film de façon littérale, un monstre qui terrorise une famille plus vulnérable que jamais, mais sa fonction allégorique de la souffrance psychologique et de l’impossibilité de faire son deuil lui donne une dimension tragique supplémentaire.

Et celui-ci a ouvert la voie à d’autres, comme le récent The Woman In The Yard, où l’entité maléfique représente les pulsions suicidaires d’une mère de famille qui a perdu son mari également. J’avais écrit une analyse des symboles du film que vous pouvez retrouver ici. Un autre film que j’ai adoré, malgré un visionnage tardif dans un état de fatigue avancé, est I Saw The TV Glow, où le passage à la vie adulte et la disparition de l’imaginaire et l’insouciance de l’enfance étaient personnifiés sous les traits fascinant de Mr Mélancolie. Son premier passage est un clin d’œil évident au Voyage dans la Lune de Méliès, mais son second était tellement étrange et envoûtant, avec ce plan serré sur son visage fait de cratères en perpétuels mouvement, qu’il est devenu une vraie référence pour moi. Si l’analyse du film vous intéresse, vous retrouverez la mienne en cliquant ici !

Encore deux exemples où les monstres ont une proximité réellement dérangeante avec leur victime. Dans la série Légion, que je vous recommande chaleureusement car c’est un bijou de créativité et de mise en scène, David Haller est un télépathe aux pouvoirs absolument inouïes. Cependant, il aura passé une bonne partie de sa vie en hôpital psychiatrique à cause de sa maladie mentale proche de la schizophrénie. Alors qu’il reprend peu à peu le contrôle de sa vie et de ses pouvoirs grâce à l’aide d’un groupe de mutants, il prend conscience qu’un parasite terrifiant vit en lui, et se nourrit de ses pouvoirs tout en le faisant sombrer dans la dépression. Ce monstre à la  silhouette obèse et grotesque, apparait clairement dans l’esprit de David lors de moments fugaces, ce qui le rend insaisissable et encore plus flippant ! Il apparaît également dans les cauchemars de David sous la forme de The Angriest Boy in the world, un personnage de livre pour enfants, un peu à la Babadook, avec une gigantesque tête en papier mâché et un visage caricatural de colère, incarnation pure de la rage et de la violence enfouie chez David. Sa petite ressemblance avec Adolf Hitler n’en finit pas de nous désarçonner…

The Shadow King, surement la créature la plus flippante de l'univers Marvel, et son avatar, The Angriest Boy In The World.

Et enfin, j’évoquerais un dernier monstre dont les symboliques m’ont sauté au visage, et dont je n’avais pourtant pas compris immédiatement le sens. Arrêtons nous un instant sur Pyramid Head, de Silent Hill ! Bien que mon premier visionnage s’est fait dans les pires conditions (petit écran d’ordinateur cassé + plein de personnes autour), ce film a définitivement affecté mon imaginaire. Qu’il s’agisse de la sirène annonçant les ténèbres, des cendres virevoltantes, l’histoire d’Alessa, tout me faisait peur, mais surtout cette immense créature avec un casque à la forme de pyramide métallique. Ce monstre traîne une épée beaucoup trop lourde comme un fardeau, surtout lorsqu’il avance difficilement dans une marée d’insectes qui grouillent à ses pieds. Et on ne peut pas dire que son casque soit des plus confortables… Ce côté bourreau qui semble souffrir autant que ses victimes m’avait fasciné, et j’avais associé cet aspect à la punition et à la culpabilité des habitants de Silent Hill. Il s’agit en réalité de la personnification de la culpabilité de James Sunderland, le héros du deuxième jeu. Culpabilité de quoi ?! Je vous laisse le découvrir en jouant le jeu car il vaut vraiment son pesant de cacahuète, sinon vous pouvez comme moi le découvrir dans l’excellent letsplay d’An0mium. C’est un des trucs les plus flippants que j’ai vu, à regarder dans le noir complet avec un bon son !

Alessa et Pyramyd Head dans Silent Hill.

Les monstres qui nous absorbent !

Avez-vous déjà vu le tableau Saturne dévorant son fils, de Goya ? Une épouvante ! En fait, ce qui me fait peur, ce sont les yeux de fous de Saturne alors qu’il a déjà bien entamé le corps de son fils à qui la tête et le bras ont disparu. Il y a quelque chose de brut, d’immoral et d’animal dans ce regard qui est censé être celui d’un Dieu. Dévorer un homme, dans un pur geste de nihilisme, je vois pas ce qu’il y a de plus terrifiant… De nombreuses créatures nous procurent ce même malaise, en nous mettant cruellement dans une sorte d’arène où le triomphe de l’un signifie se nourrir de l’autre (= pire que la mort ). Au-delà de la lenteur du processus et la souffrance qui s’éternise, n’est ce pas là la pire manière de se faire dominer par un autre ?!

Comme cette analyse n’est pas suffisamment longue je trouve, je vais faire un minuscule aparté pour vous raconter une anecdote personnelle, en lien avec le sujet je vous rassure ! Un jour à la bibliothèque où je travaille, une jeune lectrice avec un regard si vide que j’en ai eu le vertige est venue à l’accueil pour nous demander d’utiliser le micro afin de faire une annonce personnelle. Elle voulait demander à son amie qui ne lui parle plus de venir faire la paix. Sidérés par la demande, mais tout de même curieux, nous ne lui avons pas dit tout de suite que le micro n’était pas un jouet et lui avons demandé ce qu’il s’était passé. Elle nous a expliqué qu’elle avait une faim de loup et qu’elle a englouti son goûté, mais n’étant toujours pas rassasiée, elle a aussi mangé celui de son amie sans lui demander la permission. Elle nous a raconté cela dans le plus grand des calmes, avec son regard vide et un sourire carnassier qui m’a littéralement fait faire un cauchemar, où je la revois, immense, en train de me courir après pour essayer de me manger…

J’espère que les monstres que je vais vous présenter ensuite seront à la hauteur de cette terrifiante expérience ! Je vais commencer ma démonstration par une créature fascinante car elle enferme ses victimes dans un piège absolument inextricable où il n’y a qu’une seule fin possible : l’engloutissement. Cette créature s’est faite un petit nom sur les internets, il s’agit de The Pale Lady, seule chose à garder du film Scary Stories. Un jeune garçon se retrouve dans un hôpital baigné d’une lumière de néon rouge sang. Une femme monstrueuse apparait au bout du couloir, et le jeune homme prend ses jambes à son coup en s’enfuyant par l’autre côté. Cependant, la femme apparait également de l’autre côté du couloir. Vous la voyez venir la douille ? Le mec commence à paniquer et prend le couloir transversal, mais la créature se trouve partout où il va, et s’approche inexorablement de lui. Le procédé horrifique fonctionne comme It Follows, et l’étreinte finale signe l’engloutissement de la victime.

Autre figure bien connue et qui aura glacé le sang de plus d’un lecteur comme spectateur : les Détraqueurs dans Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban. Bien plus effrayants à l’écran que dans les livres tbh, ces silhouettes faméliques et voilées de noir planent au-dessus de leurs proies, aspirant toute chaleur et toute joie, jusqu’à réduire l’âme à l’état de coquille vide. Leur ultime châtiment, le Baiser du Détraqueur, signifie tout simplement la mort.

The Pale Lady et un Détraqueur

Pour terminer avec cette catégorie, je ne vous propose pas une mais trois créatures, toutes issues du même univers, celui de notre père spirituel à tous les passionnés d’horreur que nous sommes : Stephen King ! D’ailleurs, petite bouteille à la mer à destination de Disney et Warner, à quand le Stephen King Universe ?! Nan je déconne, ne faites surtout pas ça…
Quoi qu’il en soit, comment ne pas citer Pennywise, le clown de Derry, qui terrifie les gens, principalement des enfants car ils sont plus vulnérables, avant de les manger. J’aime beaucoup l’idée de mise en scène de Muschietti dans sa récente adaptation, où dans son repaire logé dans les profondeurs des égouts, se trouve une montagne d’objets ayant appartenu à ses victimes. Il y a vraiment cette idée, presque cannibale, de continuer à posséder quelqu’un après l’avoir tué.

J’ai particulièrement été choqué par une des nouvelles de King dans son recueil Danse macabre, celle d’un américain scotché sur son canap à regarder la télé toute la journée, enquillant des cannettes d’un nouveau soda chimique à la couleur rose vive. Il finit par se transformer en une immense créature ressemblant à un blob rose qui engloutit les gens pour continuer à grossir… Enfin, une autre créature m’avait effrayé par l’aspect nihiliste, comme un simple animal qui dévore tout, ce sont les Langoliers ! Tous les passagers d’un avion atterrissent dans un aéroport étrange et entièrement vide, qui ne reçoit ni n’émet plus aucun signal. Attention je vais spoiler un peu la fin, mais ce groupe réalise que lors d’une turbulence ils ont franchi une autre dimension, où règnent des créatures qui dévorent tout… y compris des aéroports paumés ! Il y a un côté liminal space avant l’heure, Banger !

Pennywise et deux Langoliers, la modélisation numérique laborieuse les rend encore plus flippant !

Les monstres mythologiques et folkloriques

Dans cette catégorie le monstre s’ancre dans une dimension mystique, folklorique, voire carrément religieuse. Le culte dont elle fait l’objet nous procure une peur particulièrement profonde car pour réussir à créer une telle fascination et soumission vis à vis de ses adeptes, on s’attend à une être démiurge, ancien, omniscient et aux pouvoirs difficiles à concevoir. Voyons ensemble les créatures qui incarnent l’inquiétante étrangeté du sacré !

Dans le film Le rituel, Luke, Phil, Dom et Hutch se lancent dans un grand road trip en laponie, en hommage à leur défunt ami. Lorsque l’un d’entre eux se blesse, ils décident de couper court par une forêt peu explorée par l’homme pour rejoindre la civilisation le plus rapidement possible. Et comme vous pouvez l’imaginer, rien ne se passe comme prévu. Des sons inquiétants apparaissent, des totems et des symboles d’un mystérieux culte parsèment leur chemin. Et enfin, nos joyeux lurons rencontrent l’objet de fascination des habitants de cette forêt, un Jötuun ! Une créature issue de la mythologie nordique prenant ici la forme d’un gigantesque cervidé, mais dont la tête est remplacée par le gabarit d’un corps humain. Ne serait-ce que par sa puissance et sa taille, la création est une réelle menace pour les visiteurs, mais pour moi, c’est son incompréhensible apparence qui m’a glacée d’effroi. De quelle profondeur des Enfers sort ce truc ?!

Le peuple discret qui vit dans cette forêt voue un culte à cette créature ancestrale, car il est perçu comme un gardien de la forêt, comme une personnification de la nature, mais aussi car en échange de sacrifices humains, celui-ci leur donne l’immortalité. Nous rencontrons une créature tout aussi dangereuse et respectée par les populations autochtones dans la 1ère saison de The Terror. Deux navires anglais viennent se perdre entre le nord du Canada et le Groenland, et prisonniers de la glace, vont sans se rendre compte entrer dans le domaine du Tuunbaq, une sorte de gigantesque ours polaire ayant le regard d’un humain. L’affrontement entre cette créature et les soldats anglais symbolise le combat de l’homme face à la nature, et bien évidemment la colonisation

Le Jötuun et Le Tuunaq !

Passons maintenant à une créature qui m’a pas mal dérangée (et c’est ce que je recherche !). Ses apparitions, rares et ambiguës, laissent planer le doute, existe-t-elle réellement, ou n’est-elle qu’une projection dans la folie des personnages ? Il s’agit de Black Philip, dans The Witch ! Ce film est absolument génial dans sa manière de mettre en scène le danger et le blasphème. On a par exemple l’enfant qui a disparu dans la forêt et dont la légende raconte qu’elle est habitée par des sorcières. Les deux petits jumeaux de Philippe et Catherine, qui sont si étranges qu’ils sont déjà des motifs d’horreur en soit, parlent sans arrêt à un bélier noir, qu’ils appellent Black Philip… Aucun doute, la foi de cette famille pieuse sera mise à rude épreuve ! Ce qui est terrifiant, et délicieusement subtile, c’est qu’on ne le voit jamais vraiment, mise à part dans une affiche du film, où le bélier noir pose sur ses deux pates avec la famille comme si il était en était un membre humain, et également lorsque Anaya Taylor-Joy lui parle dans le noir…

On retrouve ce motif du baphomet dans le film Lamb, où une bergère élevant son troupeau dans une montagne islandaise. Un jour, elle retrouve au bord de son troupeau une créature hybride entre l’être humain et la brebis et décide de l’élever comme si c’était son enfant. Le film est vertigineux par cette déroutante réalité et l’ambiance fantastique des paysages islandais. Il explore jusqu’à où peut aller cette bizarrerie, jusqu’à où peut aller l’instinct maternel de la bergère, jusqu’au moment où le géniteur de cette créature refait surface. Son apparition dans la brume, sous la forme d’un bélier dont le corps anthropomorphe n’en finit pas de nous plonger dans le malaise est une menace que nous n’avions pas vu venir… The Witch et The Lamb ont tous deux été distribués par A24, et avec Hérédité et Midsommar, tout porte à croire qu’ils ont une appétence particulière pour le folklorique horror !

Black Phillip, trop mignon avec sa famille ! Et Le Baphomet dans The Lamb.

Le folklore est également le terreau horrifique de Guillermo Del Toro dans Le labyrinthe de Pan, avec le Faune qui déroute par la complicité et le ton autoritaire qu’il peut avoir avec la petite fille. Sans parler de LA créature qui a terrifié toute ma génération, le démon assis devant une table garnie de délicieux mets, et qui se réveille si par malheur quelqu’un oserait n’en toucher qu’un seul, mais pas avant d’avoir la main… sur ses yeux posés sur la table ! La créature dans La forme de l’eau, inspirée de L’étrange créature du lagon noir, est utilisée de façon retournée, car la fascination qu’elle génère devient une curiosité à saisir pour les hommes cupides.

Le faune, Lomepal et la Forme de l'eau !

Enfin, la figure folklorique des sorcières n’a pas disparu, avec notamment le remake de Suspiria et le plus récent Weapons, dont je vous partage mon analysé détaillée ici. J’explore notamment comment le mythe de la sorcière est remis à jour avec des problématiques plus contemporaines ! Mais je voulais terminer cette catégorie avec des créatures sacrées qui ne sont pas, en tout cas pas à ma connaissance, apparues dans le cinéma. Il s’agit des anges tels qu’ils sont décrits par Ézéchiel dans la Bible, et modélisés par des internautes. Le caractère sacré et l’horreur se mélangent de façon sublime. Ces corps composés de plumes et d’yeux est une aberration biologique, et pourtant, ils font vaciller notre compréhension du monde et plongent dans une horreur cosmique. Je vous partage cette vidéo qui nous les montre de façon animée, réalisateurs de films d’horreurs, inspirez-vous en !

Les anges selon la description fidèle de la bible, modélisés par Jonas Pfeiffer.

La monstruosité des corps déformés

Le corps du monstre devient ici la source même du malaise. Il est suffisamment reconnaissable comme “objet humain” et pourtant, par empathie, leur difformité nous terrifie. Le sous genre du body horror nous donne pléthore d’exemples en ce sens, où l’objet sacré qu’est le corps humain est mis à mal. Voyons voir quelles créatures rejoignent mon panthéon des corps déformés !

Et je commence fort avec l’un des films qui m’a le plus fait peur, vous le retrouverez en top tier de mes 50 films d’horreurs préférés : [Rec] ! Au cours d’un reportage sur la vie nocturne des pompiers, deux journalistes espagnols se retrouvent enfermés dans un immeuble mis à quarantaine car il est devenu un foyer infectieux. Déjà, les immeubles sont un motif pas souvent exploité dans les films d’horreur et c’est dommage, car il s’inscrit dans une réalité beaucoup plus proche de la nôtre qu’un manoir hanté, par exemple. Ceux qui veulent absolument chercher des contre exemples, je vous interdis d’évoquer l’infâme La Tour de Guillaume Nicloux !

Mais revenons à nos zombies, Je ne suis pourtant pas fan de ce sous-genre de l’horreur, mais alors là… Voir ce virus se propager partout dans ces appartements et couloirs de la vie ordinaire, c’était vraiment flippant. Les deux journalistes trouvent refuge dans l’appartement d’un médecin absent depuis plusieurs années. Mais l’appartement est étrange, il semble être à la fois un laboratoire et un bureau d’enquête. On y découvre qu’il y a de nombreuses années, le médecin y a enfermé une petite fille appelée Tristana Medeiros, infectée par un virus qu’il n’avait jamais vu. Loin d’être protégés comme ils le pensaient, les deux journalistes sont en réalité là où tout a commencer, mais ils n’ont pas le temps d’y réfléchir, car plongés dans le noir, la caméra à frein rouge voit une forme apparaitre, Medeiros sort dans sa cachette… Son corps, par sa longueur, sa maigreur et son visage difforme est un cauchemar absolu. Elle est interprétée par l’acteur espagnol Javier Botet, atteint d’un difformité à cause du syndrome de Marfan. Cette particularité lui a permis de jouer d’ailleurs dans de nombreux autres films d’horreurs comme Mama, Conjuring, It, entre autres ! On note par ailleurs, que Le Xénomorphe humain dans Alien : Romulus, interprété par Robert Bobroczky atteint du même syndrome, a exactement la même morphologie…

Tristana Medeiros et le xenomoprhe hybdride. C'est une très bonne idée de prolonger l'univers d'Alien vers le body horror !

En évoquant des corps de créatures longs et maigres, des séries comme Charmed ou Buffy contre les vampires nous donnent quelques exemples intéressants. Je pense notamment aux Gentlemens, immenses créatures chauves à la peau glabre et en costard cravate. Leur visage brandit sans arrêt un horrible sourire, qui devient de plus en plus tétanisant au fur et à mesure qu’ils se rapprochent de leur victime en glissant au-dessus du sol. Et comme si cela ne suffisait pas, partout où ils passent, les sons disparaissent… D’autres créatures sont réellement monstrueuses, mais elles n’impactent pas de la même manière car elles sont justement trop éloignées de l’homme pour ressentir cette connivence particulièrement effrayante.

Bien que moins impressionnants, j’ai tout même ressenti le même malaise avec les vampires qui se déplacent en lévitant aussi dans Charmed, et qui affrontent Balthazar durant l’une des premières saisons. J’ai aussi été particulièrement la première Source du Mal, avec son visage partiellement brulé ainsi que par son bras droit, Shax, le démon qui tue Prue dans Charmed. Avec ses couleurs ternes et ses mouvements ondulatoires, presque chorégraphiques (une proposition qui a sûrement mal vieilli aujourd’hui !), il dégageait une étrangeté troublante, suffisamment humain pour que l’on s’y reconnaisse, mais assez surnaturel pour provoquer le malaise. C’est souvent quand les monstres nous ressemblent un peu que la peur s’installe vraiment… Fun fact, Michael Bailey Smith, l’acteur qui incarne Shax joue aussi Balthazar, et un autre démon de la série !

Les Gentlemen et La Source du Mal !

Si les corps trop filiformes des monstres peuvent être dérangeants, l’inverse est également vrai. Je me souviens du Pearl, l’énorme vampire dans Blade, qui ressemble plus à une immense montagne de chaire, avec une minuscule tête au sommet et des bras qui paraissent bien maigre en comparaison du reste. Ce vampire est si énorme qu’il est nu, aucun vêtement ne pourrait recouvrir tout son corps, et pourtant, ses titanesques bourrelets cachent ses parties intimes. Incapable de se déplacer, sa véritable force provient de son réseau d’influence, Et Blade n’aura aucun mal à le bruler aux rayons UV pour lui soutirer des renseignements.

Je pense que cette créature en a marqué plus d’un, d’ailleurs j’ai été très surpris de voir que Sorrentino l’ai réutilisé dans son dernier film Parthenope. Le fils d’un universitaire semble gonflé d’une manière absolument exceptionnelle, et cette peau blanche lui confère une allure grotesque. Le contraste entre la beauté de Parthenope, véritable Vénus de Naples, et la laideur de cette créature est saisissante, quoique légèrement poussive. Mais elle le trouve beau, et confirme dans cette séquence que sa conception de la beauté est intellectualisée d’une manière différente de la nôtre. Elle semble ne faire aucune différence entre la laideur et la beauté selon les critères de notre société, un peu comme Scarlett Johansson dans Under The Skin.

Pearl, the Fat Vampire et le fils de Devoto Marotta, dans Parthenope.

Je ne peux pas parler des créatures aux corps difformes sans évoquer Lynch et Cronenberg. Je pense que nous avons tous versé une petite larme devant Elephant Man, ou été dérouté devant le bébé visqueux et informe dans Eraserhead. Pour ma part, c’est la femme avec des joues énormes faisant une danse très étrange qui ma laissé pantois… Du côté de Cronenberg, le choix est presque impossible tant il a fait du corps en mutation sa marque de fabrique. Je dois avouer ne pas avoir été particulièrement touché par La Mouche, le personnage incarné par Jeff Goldblum me semblait un peu trop caricatural et antipathique. En revanche, Vidéodrome m’a pas mal affecté, James Woods y voit sa main et l’arme qu’elle tient se transformer en un amas de chair et de métal, une vision cauchemardesque de la fusion entre le corps et la technologie. Idem avec son adaptation du Festin nu de William Burroughs, où cette fois ce sont les objets qui prennent un aspect organique et phallique, au fur et à mesure que le Peter Weller sombre dans la folie. Chez ce maître du body horror, le corps humain et la matière n’ont plus de frontière, et cette une perte de repère particulièrement dérangeante.

Elephant Man et James Wood dans Vidédrome !

Si Julia Ducournau est parvenue à reprendre cet héritage du corps transformé en chose monstrueuses pour en montrer la tragique fragilité (notamment dans Titane et Alpha), je suis en revanche beaucoup plus sceptique de la façon dont Coralie Fargeat met en scène la monstruosité du corps dans The Substance. J’en parle un peu plus longuement dans ma critique que vous pouvez lire ici !
Je pourrais encore continuer avec The thing de Carpenter, avec cette araignée à la tête humaine, ou encore le chien humain dans L’invasion des profanateurs de sépulture… Il y a quelque chose de particulièrement ignoble à voir ces fusions d’humain et d’animaux qui incarnent une corruption de l’ordre naturel des choses…

Les monstres à l’image de l’horreur de notre société

Contrairement à la première catégorie où j’évoquais les monstres allégoriques de nos tourments intérieurs, ceux-ci incarnent un malaise collectif. Les monstres deviennent alors le symptôme de notre époque, la matérialisation d’angoisses sociales et sociétales. Nous traversons une période particulièrement instable, marquée par une montée des inégalités, les violences politiques, une perte de repères communs et une tendance croissante à l’individualisme. La précarisation d’une partie de la population et la défiance généralisée nourrissent des tensions de plus en plus polarisées. De quoi fournir aux cinéastes une matière horrifique à l’état pur !

Le monstre de Barbarian et Gladys !

Je commence par l’immonde créature tapie dans les sous-sols de Barbarian. J’en parlais dans ma critique de Weapons, le deuxième film de Zach Cregger, Barbarian nous propose une certaine idée des horreurs pouvant surgir au fin fond des quartiers pavillonnaires de détroits, abandonnés suite à la crise immobilière de 2008. Dans les années 80s, un psychopathe s’est construit un sous-terrain pour y séquestrer des femmes, puis les violer, puis violer les jeunes filles issues de ses propres viols précédents… Bref, la nausée me monte en y repensant. Le film commence avec l’arrivée de Tess dans un airbnb. Surprise et peu rassurée de voir qu’il y a déjà un locataire dedans (une nouvelle preuve de désertification urbaine, Airbnb semble gérer ça de très loin…), son stress va néanmoins en laisser place à un autre d’un calibre supérieur : ils découvrent une porte secrète menant à un sous-sol, et ignorent totalement la monstruosité congénitale qui y réside.

Dans Weapons justement, j’ai également apprécié l’aspect monstrueux de Gladys, la sorcière qui est responsable de la disparition de 17 enfants. Elle semble malade et avoir 150 ans lors de son arrivée dans la ville. Puis, au fur et à mesure qu’elle absorbe l’énergie vitale des enfants et de sa famille, elle reprend des couleurs, littéralement, car son accoutrement carnavalesque nous rappelle un certain Pennywise

Et c’est une parfaite transition pour aborder le monstrueux clown de Derry, encore… Je l’ai déjà évoqué dans la catégorie des monstres qui se nourrissent (psychologiquement et physiquement) de leurs victimes, mais je voulais aborder un aspect de ses pouvoirs qui est bien moins présent dans les films :  l’influence néfaste qu’il exerce sur l’ensemble des habitants. Dans les romans, à travers une multitude d’histoires tragiques et horribles, on découvre que les hommes s’adonnent à une violence inouïe, entre eux, mais surtout envers leurs enfants, comme si leur cœur était corrompu par la présence du clown. Et l’aura maléfique de Pennywise est si profondément ancrée dans la ville que celle-ci s’effondre petit à petit lorsqu’il est vaincu par le Club des Ratés. Et il y a quelque chose d’ironique dans cette origine de la violence ordinaire, car chez King, elle est expliquée par la présence d’un monstre. En revanche, dans notre monde à nous, comment pouvons-nous la justifier ?

Pennywise mourrtant en même temps que Derry et le Bagul.

Les monstres qui symbolisent cette violence sociale s’attaquent souvent aux enfants, car ils sont les plus vulnérables et pas encore entrés dans le moule individualiste de la société. Une créature m’a fait beaucoup d’effet lorsque j’ai vu le film pour la première fois, c’est le Bagul dans The Sinister. Déjà car son introduction est une masterpiece de surprise, mais aussi car il représente une force invisible, tapie dans l’ombre, qui corrompt les enfants pour les pousser à massacrer leurs propres familles. J’y ai vu un certain parallèle avec l’influence néfaste que certains peuvent avoir sur des enfants encore intellectuellement malléable, transmettant leur haine, leurs préjugés et leur violence. Dans la décennie où sort le film, l’État islamique endoctrine et recrute de jeunes ado influençables depuis des sites internet obscures, et faisant immédiatement penser à ce Bagul…

Je ne vais pas m’étendre sur The Host, de Bong Joon Ho car même si l’immense créature qui devient une terreur collective symbolise l’inconséquence des hommes avec les déchets atomiques, il reprend peu ou prou les codes de Godzilla, apparu la première fois en 1954, dans le film de Ishiro Honda. En revanche, un film d’horreur, asiatique également, que j’aime énormément nous donne un merveilleux exemple d’une peur collective nouvelle, il s’agit de Kaïro de Kyoshi Kurosawa. Le film nous plonge dans la ville Tokyo à l’aube du nouveau millénaire. L’arrivée d’internet, ainsi que les ordinateurs dans les foyers deviennent des objets d’horreurs et une satire sociale profonde. La ville est saturée de gris et de couleurs ternes, ce qui semble correspondre aussi au cœur de ses habitants  qui s’isolent de plus en plus et finissent par disparaître, laissant une empreinte noire au sol et au mur où ils se trouvaient. Il y a quelque chose de presque poétique dans ce spleen ambiant qui se transmet comme un virus. Terrifié devant la ville qui s’éteint petit à petit, Rysosuke, le personnage principal, finit par tomber sur un fantôme numérique, à l’origine de tout ça…

The Host et le fantôme dans Kaïro

Et enfin, je termine par deux films qui se ressemblent dans leur structure : It Follows et Smile. Il est intéressant de voir que les monstres fonctionnent comme un virus qui se transmet, et qui touche petit à petit tout le monde. La scène d’ouverture de It Follows montre bien l’égoïsme des hommes, à travers le personnage de Jeff, qui a séduit Jay uniquement pour lui transmettre le démon. Et c’est justement ce comportement individualiste et égoïste qui perpétue la contagion. Une autre scène est également intéressante, celle où Paul, amoureux de Jay depuis le début, accepte de coucher avec elle pour la soulager du virus et de l’épée de Damoclès qui plane constamment sur elle, mais le fait-il vraiment consciencieusement, ou est-ce le caprice d’une pulsion sexuelle qui n’en a rien à faire des conséquences ? Le film reste ouvert et nous interroge sur notre sexualité, la peur de faire confiance, le consentement, etc.

En revanche, je trouve que Smile n’exploite pas suffisamment la symbolique qu’il pourrait y avoir dans une société aliénante où le capitalisme pousse à garder le sourire, y compris quand plus rien ne va. En ce qui concerne, le monstre, contrairement à It Follows qui prend littéralement la forme de tout le monde (je repense à ce jumpscare de zinzin avec l’apparition du Tall Man), ici j’ai bien aimé découvrir qu’il était bien réel et affreux. Une immense créature écorchée aux multiples rangées de dents, à l’image de l’horreur tapie au fond de nous. C’est vraiment dommage que le film se contente d’aligner les jumpscares sans chercher à instaurer une terreur plus diffuse, plus environnante et plus insidieuse.

La créature de It Follows et celle de Smile !

Pour conclure

J’espère être parvenu à montrer que l’utilisation des monstres au cinéma est loin d’être anodine ou quelque chose de facile à faire ! Ils portent souvent une fonction symbolique, liés à nos peurs individuelles ou nos angoisses collectives, quand ce n’est pas leur corps qui nous renvoi à nos propres insécurités ! Ils s’appuient sur des mécanismes de mise en scène très précis, notamment sur la façon dont ils sont introduits.  On peut pu notamment observer que les monstres dont l’aspect hybride à la fois humain et animal pouvaient être particulièrement déroutant par l’aberration biologique qu’ils représentent.

Nous avons également pu voir que l’analyse des monstres et de leur évolution comme une mythologie permet mieux cerner notre époque. Un exemple est particulièrement parlant, celui de L’Étrange créature du lagon noir, qui en 1954 symbolisait l’Autre, une menace étrangère à éliminer, alors qu’en 2017 avec la Forme de l’eau, c’est un miracle de la nature a protéger des hommes. L’inversion de ce qui représente le danger est ici manifeste.

Durant cette analyse, nous avons parcouru quelques figures apparues après les années 2000. Il me tarde de découvrir quelles seront les prochaines trouvailles dans cette figure de l’horreur qui en encore beaucoup sous le pied. En attendant, si vous voulez découvrir des créatures vraiment très cool et dérangeantes comme on aime je vous recommande Mad God de Phil Tippett (Créateur des effets spéciaux des premiers Star Wars!) qui est passé un peu inaperçu, tout comme Else de Thibault Emin, film étrange mais qui contient de très bonnes idées en terme de body horror

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