★★★½☆
EXIT 8
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GENKI KAWAMURA
RÉSUMÉ :
Un homme piégé dans un couloir de métro cherche la sortie numéro 8. Pour la trouver, il faut traquer les anomalies. S’il en voit une, il fait demi-tour. S’il n’en voit aucune, il continue. Mais s’il se trompe, il est renvoyé à son point de départ. Parviendra-t-il à sortir de ce couloir sans fin ?
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Par Kevin Kozh n’air
Note globale : 3,5/5
Bienvenue dans le couloir de Penrose
Un homme ne parvient pas à trouver la sortie d’une station de métro… Pour l’avoir déjà expérimenté à la station Saint-Lazare, je peux vous dire que le potentiel horrifique du concept est insane. Exit 8 est l’adaptation du jeu vidéo éponyme ayant rencontré un certain succès en fin 2023, et nous ne pouvons que nous étonner de la vitesse à laquelle ce projet d’adaptation à vue le jour. C’est qu’il ne fallait pas laisser le concept en l’air trop longtemps !
Je n’ai pas vu les précédents films ni lu les romans de Genki Kawamura, qui était par ailleurs producteur des très bons Suzume et Your Name. Je vais donc faire une petite analyse qui ne comporte aucun biais, ni crainte ni attentes particulières et.. NAN JE DÉCONNE ! Je me suis immédiatement interrogé sur la pertinence d’adapter ce jeu qui peut se terminer en moins de 10 minutes en 1h35 de long métrage… Je m’attendais à plusieurs ajouts, notamment des éléments horrifiques, du lore, des personnages, des intrigues même. Et j’ai tapé dans le mille ! Mais voyons si la greffe est efficace. ça serait une analyse SANS SPOILER. Pour changer…
Pour vous introduire brièvement l’histoire, un homme est prisonnier de l’enfer du quotidien morne et déprimant du métro boulot dodo. Alors qu’il se rend au travail, comme des milliers de gens aussi isolés, conformés, tristes et anonymes que lui, un homme le sort de sa bulle musicale en hurlant sur une femme dont le bébé, pourtant seule trace d’humanité dans ce wagon de zombie, crie et pleure. En sortant du métro et en parcourant la station, il apprend que son ex femme attend un bébé et qu’il en est le père. Que doit-il faire ? Se rendre immédiatement à l’hôpital où se trouve son ex, continuer d’aller au boulot ? Accepter ou refuser la paternité ? Il n’a pas le temps d’y réfléchir bien longtemps, car déjà il remarque le non sens du couloir qui semble se répéter à l’infini, avec toujours le même homme qui arrive en face, avec sa chemise blanche et son attaché case. Le poster de Escher avec le symbole de l’infini traversé par des fourmilles annonce la couleur : la boucle est en place.
Le concept est TRÈS simple, et on comprend pourquoi Kawamura s’est empressé de l’adapter en premier. Il s’agit des 7 différences en version horrifique. L’homme perdu doit être attentif à ce qui compose le couloir (les posters, les portes, l’homme d’affaires qui vient en face, les bouches d’aération, etc), faire demi-tour dès qu’il constate une anomalie, et avancer si il n’en trouve pas. Le couloir en question est froid et impersonnel, tapissé d’un carrelage blanc qui génère ce malaise propre aux espaces liminaires. L’horreur réside justement dans cette espace de passage que l’on traverse tous au quotidien. Que se passerait-il si on y restait enfermé ?
Alors vous me direz, bah trop facile ? Si le personnage n’est pas trop con tout finira vite ! Et bien, comptez sur lui pour ne pas vous décevoir à ce niveau-là, sa capacité émotionnelle et son impatience d’enfant de 8 ans feront durer le plaisir. Mais ce n’est pas vraiment un défaut d’écriture, ni une conséquence du kabuki, ce jeu d’acteur et ses personnages japonais aux réactions, attitudes et dialogues qui peuvent nous paraître exagérer. Au fil de la traversée de cet enfer, d’ailleurs pensé comme celui de Dante selon le réalisateur, comme vous pourrez le lire ici, l’intrigue nous dévoile son fil rouge. Notre homme est coincé dans un entre eux qui nous rappellera l’expérience du chat de de Schrödinger, et la traversé de ce non lieu serait l’occasion pour lui de dénouer ses dilemmes intérieurs : a t-il réellement envie de retrouver le réel au-delà de l’Exit 8, assumer sa nouvelle parentalité, retrouver sa vie sans le moindre fun ?

Le dédale sans fin comme reflet des tourments intérieurs
C’est là toute la proposition que le film ajoute au jeux vidéo : la métaphore existentielle ! Ce dédale qui se répète est fort en symbolique, notamment celle de la répétition d’un quotidien banal et étouffant, la peur que nous pouvons ressentir face aux choix des chemins à prendre, choisir des détours pour éviter de se confronter au réel, aux responsabilités…
Sans entrer dans les détails pour vous garder la surprise, au fil de la progression de l’homme perdu, certaines anomalies semblent prendre leur source dans ses questionnements intimes, nous procurant au passage des séquences d’horreurs intéressantes qui nous rappelleront un certain épisode de Black Mirror (Striking Viper, S1E5).
Le couloir infini comme métaphore des doutes, bonne idée ou pas ? Pour ma part, je ne vois pas quel autre chemin aurait pu prendre le film pour avoir une durée correcte. À ce propos, j’ai même été légèrement inquiet, durant les premières minutes jusqu’à l’arrivée dans le couloir, de voir qu’on était à la première personne. Un procédé que j’aime beaucoup par ailleurs, les found footage étant ma religion, mais je me disais ici, à quoi bon choisir d’adapter le jeu si c’est pour nous le faire arpenter de la même manière.
Mais il s’avère que cette introduction sert à nous faire entrer dans la peau de ce personnage anonyme, dont le quotidien résonne avec le nôtre. De cet homme, dont on ne se saura d’ailleurs jamais le nom, nous ne connaîtrons pas grand chose mis à part le tourment qui le plonge dans cette boucle. C’est comme s’ il devait être suffisamment vide pour être à la fois personne et tout le monde.
Et si vous lisez mes critiques, vous savez que je raffole particulièrement de l’elevated horror, cherchant de la moindre portée symbolique que propose une fiction (j’ai par ailleurs tout à fait conscience de frôler, quelques (rares) fois, la surinterprétation !). En revanche, je trouve qu’ici la mayonnaise ne prend pas, ou du moins qu’elle paraît un peu trop industrielle face à la sobriété du jeu qui laisse toute la place à l’interprétation du joueur. Et ce qui pour moi constitue le défaut majeur du film, c’est ce sentiment que le tout le film repose sur la révélation de cette métaphore, alors que le lien entre ce lieu étrange et les tourments du personnage est pourtant évident (petit spoiler tout mignon : La scène des casiers arrive beaucoup trop tôt !).
Une fois cette révélation consumée, et si vous n’êtes pas tombé de votre chaise suite au “choc” qu’elle vous aura procuré, alors le film, à l’image de son concept, va s’étirer…longtemps. Tous les moyens seront mis en œuvre pour grappiller des minutes supplémentaires. On aura notamment une introduction de nouveaux personnages aux problématiques pourtant identiques au cas où certains seraient passés à côté de la métaphore, des apitoiements interminables, des erreurs évitables qui serviront à prétexter un retour à la case départ. Le son qui sert à faire comprendre au personnage et au spectateur qu’on entre dans un nouveau couloir finit par devenir insupportable, et vous me direz que c’est le but, une immersion supplémentaire pour comprendre la folie progressive des personnages !
Il y a quelque chose d’un peu schizophrénique dans ce film, comme une envie de nous divertir et nous interroger, tout en se montrant volontairement insupportable, nous balançant au passage l’absurdité de notre quotidien en plein visage. Et pourtant, sa réalisation est plutôt réussie, il y a des plans séquences pertinents, de nombreuses rotations autour des personnages, suffisamment subtiles pour que cela ne devienne pas indigeste, afin de nous faire ressentir leur enfermement et nous garder jusqu’au bout la surprise de ce qu’ils vont découvrir à l’angle du couloir : retour en arrière ou pas, anomalie vraiment flippante ou pas.
C’est pour cette raison que Exit 8 est un “ok tiers” pour moi. Non pas qu’il soit un mauvais film, mais le problème réside dans son concept, qui est beaucoup plus efficace lorsqu’on joue le personnage. L’aspect liminal spaces et backrooms n’a pas besoin d’être enrichi de lore, car ces espaces vides et malaisant nous permettent justement de combler les lacunes grâce à notre imagination.

Pour conclure
Même si l’ajout d’une portée symbolique n’a pas été faite d’une manière suffisamment subtile et va à l’encontre des liminals spaces, je suis tout de même content de voir une proposition qui change des lieux communs habituels des films d’horreurs. Il a même pu avoir une place dans la catégorie “films de minuit” du festival de Cannes 2025 !
Tout en trouvant sa voie singulière dans ce genre de cinéma, il rend tout de même hommage à des classiques comme Shining ou La Chambre 1408 (quand arriverons-nous à nous libérer de ta machiavélique influence, Stephen King ?!), de façon intelligente et qui font totalement sens avec le propos du film. Je l’apprécie également car il témoigne aussi d’une certaine inquiétude quant à la situation démographique préoccupante du Japon. Avec la thématique de la paternité, représentée par deux futurs papas en proie au doute, et cette scène du métro où l’on voit une société si aliéné par le travail qu’une mère et son enfant sont perçus comme une excroissance dérangeante, le film nous invite à réfléchir et questionner un certain ordre des choses…
Il est également intéressant de remarquer que cette année aura vu éclore d’autres films japonais sur la thématique de la boucle temporelle, avec notamment Comme un lundi, où plus récemment En boucle. Bien qu’ils soient sur des tonalités plus humoristiques, on peut tout de même ressentir une peur sous-jacente de l’enfermement dans une routine sans saveur et inextricable.
Enfin, pour ceux qui n’ont pas joué au jeux, je pense pas qu’il soit nécessaire de le faire après le visionnage du film, en revanche je vous recommande un autre jeu absolument terrifiant qui reprend l’environnement d’une immense station de métro noyée de monde (qui a littéralement la même verticalité de la gare de Saint-Lazare, quel horreur…), à la première personne également et dans lequel vous êtes poursuivis par une entité, un peu comme It Follows. Je vous donne un lien pour en découvrir un letsplay, voici Crowded Followed !
